« Comme il se sent différent de ces hommes qui ne pensent que rapines et assassinats. Certains égorgent un homme comme ils avaleraient un bock et n’y pensent même plus la minute d’après. Il a pu être au bagne, jamais il n’a été un bagnard. Il les a vus de trop près pour ne pas s’y tromper. Lorsqu’ils parlent d’honneur, ce n’est qu’hypocrisie. Aucune solidarité entre ces rebuts de la société. Ils se volent entre eux, se dénoncent, ne méritent plus le nom d’homme. Le monde interlope des marginaux lui fait horreur. Lorsqu’il lit dans les journaux les crimes commis, il se dit que malgré quelques individus encore récupérables, la majorité devrait être anéantie. Seule la pensé que certains d’entre eux, peuvent comme lui être innocents, nuance son jugement. »
Marie-Helène PARINAUD, historienne de formation - a soutenu son doctorat à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales- revisite l’Histoire à travers des enquêtes policières véridiques. Elle a été conseillère historique pour le film Vidocq réalisé par Pitof et dont les deux acteurs principaux sont Gérard Depardieu et Guillaume Canet.
Elle a écrit des romans policiers historiques, dont Meurtres à Venise, qui se déroule au Moyen Âge et « explore les aspects fascinants de cette cité interdite aux étrangers ».
Ce récit est donc une biographie d’Eugène-François Vidocq, aventurier et détective français. Et au demeurant, n’est plus tout aussi sympatique qu’il en a l’air ! Successivement délinquant, bagnard, indicateur (opportuniste?), policier et enfin détective privé, il est surtout connu pour avoir fondé la première agence de détectives privés et pour avoir révolutionné le travail de la police en France.
Passionnée
d’histoire et de généalogie, vous pensez bien que je n’ai pu
résister à l’envie de vérifier les propos de l’auteure. Je
salue par ailleurs son travail considérable.
*
Eugène-François Vidocq est né à Arras le 24/07/1775. Il est le fils de Nicolas Francois Joseph VIDOCQ (1743-1799) maître boulanger et marchand de blé à Arras, et de Henriette Francoise Joseph DION (1744-1824) ; il est le quatrième enfant d’une fratrie de huit :
Nicolas Francois Joseph VIDOCQ (1767-1767), décédé à 29 jours,
Guislain Joseph VIDOCQ (1771-1771), n’a vécu que 2 jours,
Francois Guislain Joseph VIDOCQ (1772- ?)
Eugéne François VIDOCQ 1775-1857, notre « héros »
Aimé Fidel Joseph VIDOCQ (1777-1782), décédé à l’âge de 4 ans,
Henriette Victoire Joseph VIDOCQ (1779-1780) n’aura vécu que quelques semaines
Henriette Augustine Joseph VIDOCQ 1782-1874
Francois Joseph Constant VIDOCQ (1783-1787), décédé à l’âge de 4 ans.
il est en effet le quatrième enfant d’une fratrie de huit, mais le seul survivant de tous les enfants… le destin en a décidé autrement…. Au XVIIIème siècle, la mortalité infantile était très élevée. Tout jeune, Vidocq a donc cottoyé la mort au quotidien.
Ah, le Pas-de-Calais, voici un département que je connais bien pour avoir des ancêtres mineurs dans la région lensoise. Arras se situe à moins de vingt kilomètres, au sud de Lens.
En 1775, la France traverse une période économique difficile, notamment une série de crises agricoles, « la guerre des farines » provoquée par une mauvaise récolte en 1774 et la spéculation des marchands de grains. Ni Lens, ni Arras, ne seront épargnées par les pénuries de grains et les hausses des prix des denrées alimentaires. Lens n’était alors qu’une petite ville rurale aux habitations en bois et en torchis, avec des toits de chaume ou de tuiles, entourées de remparts médiévaux et de douves protectrices ; au XIXème siècle, elle exploitera son riche bassin minier, pour se développer de manière exponentielle et faire la fortune d’un petit nombre de privilégiés.
Chef-lieu de la région d’Artois, Arras, est déjà une ville plus grande et plus développée, servant souvent de centre d‘approvisionnement pour les habitants de Lens et ses environs, jouant également un rôle administratif important. Arras est aussi une position militaire renforcée, avec des fortifications et des infrastructures militaires importantes.
En 1775 les arrageois ont donc faim, comme la plupart des Français d’ailleurs. Maximilien Robespierre, origine d’Arras, l’une des figures les plus emblématiques de la Révolution Française, ne s’y trompera pas ; après le collège d’Arras où il fait de brillantes études, il part pour la capitale perfectionner ses études de droit. Vidocq se battra également contre les injustices, mais en empruntant des chemins de traverse….
Fils de boulanger, Vidocq commet plusieurs larcins au cours de son enfance. De forte corpulence, il est un adolescent rebelle, et contraint de fuir Arras à 16 ans, après volé dans la caisse de son père. Il s'engage dans l'armée révolutionnaire, soucieux d’échapper aux corrections paternelles ; nous sommes en 1791, il entre dans la compagnie des chasseurs – régiment de Bourbon-Infanterie, puis déserte….
« les villes se livrent sans combattre et accueillent les royalistes prussiens comme des libérateurs »
(...)
« A l’arrière, le gouvernement utilise la Terreur pour éliminer tous les ennemis et nomme des proconsuls tels que Carrier à Nantes, Fouché à Lyon, Talien à Bordeaux et Lebon à Arras »
« Vidocq retrouve celle des Baudets. Son père l’y avait fait enfermer, alors adolescent, histoire de lui apprendre à être sage » et ne plus voler dans la caisse !
Vidocq est aussi un joli cœur et ne sait rien refuser aux belles ; il se mariera toutefois trois fois :
le 8 août 1794, à Arras, avec Marie Anne Louise CHEVALIER ( AD 62 n°84 page 571/882) dont il divorcerale 16 novembre 1805 ; la jeune citoyenne avait annoncé être enceinte, pour mieux le berner ; alors, le 2 mars 1795, il se sauve à Paris
le 6 novembre 1820 à Paris, avec Jeanne Victoire GUERIN (acte reconstitué ci-contre), qui décédera quatre années plus tard,
le 28 janvier 1830, à Saint-Mandé, avec Fleurine Albertine MANIEZ (AD 94 n°3 page 163/217)
Continuant ses activités, il est incarcéré au bagne de Brest, dont il échappe, puis au bagne de Toulon, dont il s'échappe encore…..
Le bagne de Brest était réputé pour ses conditions de vie très difficiles, avec des détenus souvent victimes de maladies, de malnutrition et de brutalités. Vidocq y est incarcéré en 1798 ; après plusieurs tentatives, il réussira à s’échapper…..
« On accouple les détenus par taille. On leur pose un collier de fer « la cravate », rivé à froids par des bagnards à coup de masse. C’est un moment très délicat car le moindre faux mouvement, le plus petit sursaut, du patient ou de l’opérant, peut suffire à faire éclater le crâne comme une coquille. Ce carcan, relié à des menottes et à l’anneau qui enserre la cheville, est lui-même fixé au long ruban de fer où sont rattachés vingt-trois hommes. Le montage oblige les forçats, lorsqu’ils veulent avancer, à bouger les mêmes membres ensemble, d’un seul mouvement. C’est « la chaine ». »
IL sera repris et renvoyé au bagne de Toulon, condamné à huit ans de travaux forcés pour « faux en écritures publiques et authentiques », il réussira à s’évader le 6 mars 1800, en trompant la vigilance de ses gardiens.
« A Toulon, la prison est un bâtiment de 100 mètres de long, en bordure des quais. C’est le plus important bagne portuaire de France. Partout, les forçats en habit rouge travaillent, sur les charpentes, au calfeutrage, tout ce qui est pénible ou dangereux. Les nouveaux venus en sont pas dirigés, comme à Brest, dans des corps de logis mais entassés sur les terribles pontons flottants, constitués de vaisseaux démâtés et pourris. Ceux jugés dangereux, car ayant une tentative d’évasion à leur actif, sont attachés jour et nuit sur le plancher brut. Ils ne peuvent bouger ni pour se lever, ni pour se nettoyer. Un gros baril de bois sert de baquet d’aisance, installé au milieu de la cale. Des semaines entières, il empuantit l’atmosphère d’une odeur pestilentielle. La nourriture consiste en pain noir, légumes et biscuits militaires conçus pour les voyages aux longs cours. »
Il continue à mener une vie de criminel, mais en 1809, il propose ses services à la police de Paris en tant qu’informateur. Grâce à sa connaissance du monde criminel, à ses relations et à ses talents d’enquêteur, il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie.
En 1811, Vidocq est nommé chef de la Sûreté nationale, une unité de police nouvellement créée, spécialisée dans la répression des crimes et délits. Il a alors 36 ans, et déjà un joli parcours qu’il entend bien exploiter. Sous sa direction, la brigade réussit à arrêter de nombreux bandits ; il faut dire que ses méthodes d’investigation sont innovantes ; Vidocq utilise des déguisements pour infiltrer les milieux criminels et recueillir des informations de l’intérieur.
« Surtout, ils y retrouvent des complices, des filières avec des spécialistes. Le « caroubleur » crochète de portes, le « détourneur » dévalise les boutiques, le « rouletier » vole les voitures, le « chourineur » est un assassin… Paris devient sous l’Empire, le paradis des receleurs. »
IL n’hésite pas à se travestir en différentes professions et classes sociales, comme un ouvrier, un marchand, un matelot – comme lors de son évasion du bagne de Brest - ou même un mendiant, pour ne pas éveiller les soupçons. Il utilise des accessoires comme des perruques, de fausses barbes, des lunettes, et bien évidemment du maquillage pour changer son apparence physique. Il va même jusqu’à modifier sa posture, sa démarche, sa voix pour rendre son personnage plus crédible.
Il recrute d’anciens criminels pour travailler comme informateurs et agents, exploitant leur connaissance du monde criminel, ce qui n’est pas toujours bien accueilli…. Il met en place des techniques de surveillance et de filature pour suivre les activités des suspects. Enfin, il crée des fichiers détaillés sur les malfaiteurs à appréhender, incluant des descriptions physiques et des méthodes opératoires.
Mais malgré son amnistie en 1818 et son parcours fascinant, il reste signalé comme « évadé à reprendre » au bagne de Toulon. Pour la société, il reste « un bagnard ».
En 1827, Vidocq démissionne de ses fonctions de chef de la Sûreté. Installé à Saint-Mandé, il crée une petite usine de papier et invente un papier infalsifiable.
« Il a inventé plusieurs procédés : du carton bouilli qui permet de faire des valises et surtout du papier tramé et ingrattable donc infalsifiable. Il veut commercialiser ses inventions. Le 1er juillet 1828, il interrompt ses travaux pour une parenthèse officielle. Il est invité à assister à la cérémonie solennelle d’entérinement des lettres de grâce qui lui avait accordé Louis XVIII, dix ans auparavant, le 1er avril 1818. Ce épisode cloture la période la plus agitée de son existence mais pour Vidocq, il y a longtemps qu’il a tourné la page. Il ne pense qu’à l’avenir et à promouvoir ses produits. Son activité de policier lui a permis d’observer à quel point les escrocs maquillent facilement les papiers officiels, des traites aux billets de banque, sans parler des actes, feuilles de route, états de service. Les ministères, ceux de la guerre notamment, en ont suffisamment fait les frais. La banque de France s’intéresse à sa découverte ainsi que les notaires.
Il n’y a guère
que la Préfecture dont la rancune ne désarme pas qui refus
d’adopter ce procédé pour rendre les papiers d’identité et les
passeports inaltérables.»
En 1828, il se
lance dans l’écriture et publie
des Mémoires ; si ces
écrits sont un véritable succès, son affaire d’usine à papier
en revanche fait faillite. IL reprend donc son poste de chef
de la sûreté en 1832 pour
fonder en 1833 le « Bureau
de renseignements dans
l’intérêt du commerce »,
la première agence de détectives privés. Avec
une formule d’investigation appelée à devenir célèbre :
« discrétion assurée ». Il
a alors 58 ans.
En 1857, Paris a été touchée par une épidémie de choléra, maladie infectieuse se propageant principalement par l’eau contaminée. Cette année-là, l’épidémie a eu un impact significatif sur la population parisienne, entraînant de nombreux décès et mettant en lumière les conditions sanitaires précaires de la ville ; les autorités ont dû prendre des mesures pour améliorer l’hygiène et l’approvisionnement en eau potable afin de contrôler la propagation de la maladie. Mais Eugène François n’y survivra pas : il décède le 11 mai 1857 dans son domicile parisien (AD 75 page 9/51 Acte reconstitué).
« Regardant les oiseaux dans le ciel, les immeubles où des ménagères secouent leurs chiffons aux fenêtres, les gens qui vont et viennent, toute cette vie qui continue, Vidocq sourit : Docteur, je me suis échappé de bien des pièges et de menaces dans mon existe, mais vaincre le choléra reste la plus difficile de mes évasions ».
Vidocq serait inhumé au Père Lachaise…. Et bien, non, il aurait reposé au cimetière Montparnasse, mais vous n’y trouverez plus sa tombe….
Un curieux personnage, ce Vidocq ! Et s’il nous avait tout simplement encore fait un tour de passe-passe : Eugène-François Vidocq, le célèbre détective et criminel réformé ! C’est une question intéressante. Si Vidocq devait se réincarner, il pourrait bien devenir un enquêteur moderne, utilisant les dernières technologies et méthodes scientifiques pour résoudre des crimes. Peut-être un expert en cybercriminalité ou un profiler criminel… ou bien encore Houdini, le maître de l’évasion et de l’illusion ! Ce serait une réincarnation fascinante pour Vidocq. Imaginez-le utilisant ses talents d’illusionniste pour tromper les criminels et échapper aux situations les plus périlleuses. Il pourrait également enseigner à son équipe des techniques d’évasion et de déguisement pour les aider dans leurs missions. Un mélange parfait de mystère et d’action !
Et d’où lui vient cette propension à se déguiser pour mieux cerner l’ennemi ? Il faudra lire le livre pour le savoir…. Car Marie Hélène Parinaud nous dit tout…
*
Pour en savoir plus :
Biographie d'Eugène François Vidocq (Geneanet)
Eugène-François Vidocq (FranceArchives)
L'Affaire Vidocq | (Le blog de Gallica)
Vidocq : bagnard, policier puis détective privé de Paris ! (Paris ZigZag)
Histoire de Vidocq, chef de la brigade de sûreté... depuis 1812 jusqu'en 1827... (Gallica)
Vidocq, le plus illustre des bagnards de Brest (Ouest France)
Bagnards ayant séjourné au bagne de Brest entre 1749 et 1858 (RFG)
La bibliothèque numérique du Centre de recherche bretonne et celtique (RFG)
Procès de Vidocq au Tribunal de police correctionnelle et devant la Cour(Gallica)
Vidocq, un escroc au service de la police (INA)
Vidocq, l'employé de police évadé du bagne (Historia)
Les voleurs : physiologie de leurs mœurs et de leur langage de E.F. Vidocq (Gallica)
Vidocq & la genèse de la sécurité privée (Groupe GSP)
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