mardi 10 décembre 2024

I comme IGNOMINIE

Lorsque j’ai commencé à rédiger cet article, je me suis posée la question du titre : en évoquant les horreurs de la guerre 14-18, dois-je parler d’infamie ou d’ignominie ?

Question de vocabulaire me direz-vous et pourtant…

L’infamie désigne un comportement qui déshonore gravement ( « honteusement ») une personne, la rendant méprisable aux yeux de la société ; c’est une forme de disgrâce publique.

L’ignominie – souvent présentée comme un synonyme d’infamie – est une humiliation plus profonde, associée à des comportements moralement répugnants, y ajoutant une idée de flétrissure, de dégradation.

Donc, pour ma part, les horreurs de cette guerre sont une ignominie, et puis, je trouve ce terme beaucoup plus vilain à prononcer ; il porte en lui toute la lourdeur de la honte et du mépris. Mais au-delà de sa signification, c'est un mot qui semble s'arracher de la bouche avec violence ; il commence par une aspiration brusque, « ig- », comme le spasme d’un vomissement à venir, avant de finir dans une sorte de râle, un « nie » étouffé et rauque. C'est un mot dur, qui s’éructe avec douleur, et laisse une impression de dégoût non seulement par son contenu, mais aussi par la manière dont il habite le langage, presque comme une agression sonore.

La guerre, qu’elle soit côté « alliés » ou « ennemies » est une honte ; celle de 14-18 notamment a marqué une période de l'histoire où des millions de personnes ont été confrontés à des souffrances indescriptibles et à une violence sans précédent.

La nature même de cette guerre, où les nouvelles technologies d'armement ont été utilisées pour la première fois à grande échelle (mitrailleuses, artillerie lourde, gaz toxiques), a donné à ce conflit une dimension particulièrement cruelle. D’ailleurs, le mot « boucherie » qualifie à lui seul la virulence des combats, des vies humaines sacrifiées dans des assauts dévastateurs, des officiers aux stratégies incertaines où des centaines de milliers d’hommes ont été envoyés à une mort quasi certaine, souvent pour des gains territoriaux minimes.

Tandis que les poilus s'enlisaient dans les tranchées, livrant leurs corps à la boue, aux rats et aux obus, un autre drame silencieux se jouait à l'arrière : femmes, mères, épouses et sœurs, devaient supporter l'attente interminable, rongées par l'angoisse, sans savoir si leurs hommes reviendraient vivants ou figés dans la terre des champs de bataille. Elles ont dû assumer des rôles qui n'étaient pas les leurs, travaillant dans les usines, dans les champs, gardant le foyer debout malgré l'absence déchirante. Elles ont du s’adapter….

Quant aux enfants, leur innocence fut volée par l'ombre du conflit. Ils grandissaient dans un monde de privations, où les rires enfantins cédaient souvent la place aux larmes et aux questions sans réponses. Ils regardaient les adultes avec des yeux avides de comprendre pourquoi leurs pères, leurs frères étaient partis, pourquoi la guerre leur avait arraché ce qui leur était le plus cher. C’était un drame silencieux, fait d’absence, de sacrifices, de pénurie de nourriture où les épreuves de l’arrière, bien que moins brutales que celles du front, n’en étaient pas moins dramatique.

Sur le front, les hommes doivent se protéger des gaz toxiques, un symbole d’ignominie.

Les gaz asphyxiants ont été utilisés pour la première le 22 avril 1915 par les forces allemandes lors de la bataille d’Ypres en Belgique. Ce fut le début de l’emploi massif d’agents chimiques sur le champ de bataille, causant intoxications et morts.

L'initiative de Fritz Haber, un chimiste allemand, a joué un rôle crucial dans le développement de ce gaz de combat. Il « reçoit le prix Nobel de chimie en 1918 pour ses travaux sur la synthèse de l'ammoniac, importante pour la fabrication d'engrais et d'explosifs. Il est également considéré comme le « père de l'arme chimique » pour ses travaux sur le dichlore et d'autres gaz toxiques largement utilisés pendant la Première Guerre mondiale ».  (Wikipedia) Son implication dans les gaz moutarde reste toutefois controversée….

Une réalité toutefois indéniable, le gaz ammoniac est particulièrement dangereux : toxique par inhalation, il provoque de graves brûlures de la peau et des lésions aux yeux. Mais l'ammoniac n'a pas été utilisé comme arme chimique, seules les techniques de production et de manipulation de gaz toxiques développées pour la production d'ammoniac ont été adaptées pour créer des gaz de combat. Par conséquent, les gaz asphyxiants, tels que le chlore et le phosgène, ont été produits à partir de composés chimiques similaires à ceux utilisés dans la production du gaz ammoniac.

L’ypérite, ou gaz moutarde, est l'une des armes chimiques les plus tristement célèbres de cette terrible guerre. C’est un composé chimique cytotoxique – destiné à nécroser les cellules – et vésicant, c’est-à-dire qu’il provoque des lésions, des ampoules sur la peau et les muqueuses, et ceci, de manière irréversible. Car le gaz moutarde n'était pas conçu pour tuer instantanément….

Il provoquait de graves brûlures chimiques sur la peau et dans les poumons, rendant la mort lente et douloureuse. Ses effets étaient plus insidieux ; quelques heures après l'exposition, les victimes développaient des cloques douloureuses sur leur peau, une cécité temporaire ou permanente, et des lésions graves dans les voies respiratoires.

Dans sa monographie intitulée « Le Drame de l'Yser. La Surprise des gaz (avril 1915)» le général Henri MORDACQ (1868 – 1943) écrit : « Bientôt on s’aperçut que les hommes qui restaient sur place souffraient beaucoup, mais que chez ceux qui, pour se préserver des gaz, se sauvaient en courant, tout mouvement accentuait l’effet du poison. On constata également : que ceux qui restaient debout et immobiles, résistaient mieux aux gaz que leurs camarades qui s’étaient assis ou cachés au fond de la tranchée. »

Réputé pour son engagement envers ses hommes, le général était connu pour sa capacité à inspirer confiance, sa loyauté parmi ses troupes et pour son courage personnel sur le champ de bataille. Il a été profondément choqué par l’effet dévastateur de ces armes chimiques sur les soldats et exprimé son indignation face à l’utilisation de telles méthodes de guerre ; son écrit témoigne par ailleurs de la brutalité et de l’inhumanité des gaz de combat, ainsi que du cauchemar pour les soldats terrorisés lorsqu’ils sortaient des tranchées.

Le gaz moutarde présentait une grande persistance ; en effet, il pouvait rester actif plusieurs jours, voire plusieurs semaines, contaminant les zones où il avait été dispersé. Rendant les tranchées et les abris impraticables, il continuait à provoquer des blessures graves longtemps après avoir été répandu.

Exposés au gaz, les soldats enduraient des souffrances physiques extrêmes : irritations et brûlures sévères, plaies ouvertes, perte de la vue, lésions pulmonaires et crises d’asphyxie. Les victimes pouvaient agonir longtemps avant de mourir et nombre d'anciens combattants ont continué à souffrir de maladies respiratoires chroniques, de problèmes oculaires ou de lésions cutanées à cause du gaz.

Alors, vous allez me dire que nos soldats avaient des masques…. Certes, mais contre le gaz moutarde, ils étaient souvent insuffisants.

Persistant à température ambiante et se vaporisant lentement, le gaz moutarde pénétrait les matériaux poreux des masques à gaz, contrairement aux autres gaz plus volatils, comme le chlore ou le phosgène ; la simple odeur ou l’apparence jaunâtre de l'ypérite suffisait à semer la panique parmi les troupes. Ce gaz invisible à l'état gazeux, incolore et difficile à détecter à l’oeil nu, prenait une couleur jaunâtre ou brunâtre sous sa forme liquide ; les poilus ne pouvaient pas toujours savoir quand ils étaient exposés ; l’ypérite qui frappait à retardement augmentait donc l’angoisse et la terreur de nos soldats ; ce gaz signifiait mort lente, douloureuse et inéluctable.

Dans le domaine de l’ignominie, l’Homme a de l’imagination : de l’yperite, arme chimique, terrorisante, provoquant des brûlures et des lésions internes irréversibles, au napalm, arme incendiaire soufflant des incendies intenses et des brûlures thermiques profondes, il n’y a pas trente ans….


Pour en savoir plus :

Fritz Haber, chimiste à double visage, histoire des sciences

Notice au sujet de la protection contre les gaz asphyxiants | Gallica

Asphyxies et gaz asphyxiants : moyens d'y remédier / Dr A. Cevidalli,... |Gallica

Contribution à l'étude du role étiologique de l'intoxication par les gazasphyxiants sur le développement de la tuberculose pulmonaire |Gallica

La chimie meurtrière des Allemands / par Francis Marre,... | Gallica

Le Drame de l'Yser. La Surprise des gaz (avril 1915). 6e édition /Général Mordacq | Gallica

Gaz de combat de la Première Guerre mondiale - Musée de la GrandeGuerre

L'utilisation massive des gaz de combat | Chemins de mémoire

Histoires14-18 : l'ypérite, la guerre au gaz moutarde

Ypres, 22 avril 1915 : les premières attaques au gaz de combat | Chemins demémoire

Gaz de combat de la Première Guerre mondiale - Musée de la GrandeGuerre

La Guerre des Gaz

Histoires14-18 : l'ypérite, la guerre au gaz moutarde

L’équipe médicale du 3/43e RAC - René Verney un médecin normand dans lagrande guerre (43e RAC, 74e et 24e RI)

Les nouveaux moyens de destruction: les armes chimiques

Les gaz de combat et la Première Guerre mondiale : le rôle clef despharmaciens - Persée

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