Houilles est une commune située dans le département des Yvelines – autrefois Seine et Oise. Elle se trouve au nord-ouest de Paris côté porte Maillot.
Alfred Léon KLEIN n’appartient pas à l’arbre de ma famille, mais son parcours est particulier. Et j’avais envie de l’évoquer….
Il est le fils de Jean Michel, demeurant au 34 rue de Paris, exerçant la profession de champignonniste, et de Louise Denise Sidonie LEGRES, son épouse, journalière.
Le couple a eu de nombreux enfants, mais peu ont survécu :
Émile, né en 1886, de profession couvreur, épousera une modiste Jeanne ; sur le recensement d’Houilles en 1911, je le retrouverai avec Suzanne, une blanchisseuse et il exercera la profession de plombier
Henri Adrien, né en 1889, décédera à l’âge de 4 mois (AD 78 n°39 page 16/281)
les jumeaux Ernest Marius et Maurice Camille, nés en 1890 ; le premier sera journalier (AD 78 n°22 page 64/181) tandis que le second décédera l’année suivante le 9 septembre 1891 (AD 78 n°34 page 191/281)
Aliche Rachel, décédera à 3 mois le 5 décembre 1891 (AD 78 n°55 page 200/281)
Anna Célestine, décédera à 6 mois le 15 août 1894 (AD 78 n°43 page 47/226)
Alfred Léon, en 1895, que je retrouverai sur le recensement de 1911, travaillait comme « domestique » chez le cultivateur JOLY Eugène ; il avait alors 16 ans
Fernand Julien, né en 1898, décédera 6 mois plus tard (AD 78 n°64 page 158/226).
Le 29 juillet 1913, Alfred Léon s’engage dans l’armée pour une durée de 4 ans ; quelles sont ses motivations ? Patriotisme, dépaysement pour de nouvelles aventures, ne pas suivre la voie de ses « pairs » ou tout simplement l’assurance de recevoir une solde tous les mois…. Difficile à dire. Quoiqu’il en soit, le 6 août 1914, il part avec le 129ème RI et le 17 août il passe la frontière belge.
Le 6 septembre 1914, il est blessé à Guise, une blessure par balle située entre les doigts de la main gauche… Alfred Léon ne se remettra jamais de cette blessure : il n’a que 19 ans….
Et pourtant, il retourne au front, il sait qu’il a signé pour 3 années encore…. 3 terribles années. Il est épuisé, effrayé face aux horreurs quotidiennes, au déluge constant de bombes, de tirs, aux cris et hurlements de ses camarades qui tombent un à un autour de lui. Malgré son courage, l'angoisse était bien présente : la peur de souffrir, de mourir, de ne jamais revoir sa famille, la boue, le froid, la solitude des tranchées, une peur viscérale le gagne peu à peu. Confronté à une terreur insoutenable et un épuisement moral écrasant, il a finalement pris une décision radicale : déserter.
Mais Alfred Léon n’est pas allé très loin : il s’est réfugié dans un coin, tout près des cuisines, loin des combats, de l'horreur des tranchées, et la constante menace de mort qui les guette tous. Tout simplement pour dormir… Malgré la honte qu’il pouvait ressentir, la peur de se voir condamné, et l’incompréhension de ses camarades, il n’en pouvait plus. L’espoir de retrouver une vie normale et d’échapper à cet enfer l’emportaient sur tout le reste.
Il a quitté son poste dans la nuit du 20 au 21 juin 1915 dans les tranchées de première ligne, au sud-est de Souchez ; Alfred Léon expliquera qu’une plaie à la main s’était infectée à la suite d’un éclat d’obus ; mais ce qui est reproché au soldat est d’avoir disparu durant deux jours sans donner de nouvelles aux soldats de la compagnie dont il relevait. Considéré comme un « mauvais soldat », le conseil de guerre le condamne à « la peine capitale » ; la minute du jugement en date du 8 août 1915 ne lui laisse aucune chance.
Pour l’Armée française, l'abandon de poste est un acte lourd de conséquences ; un « poilu » qui déserte, mettait en péril la sécurité de ses camarades et violait les devoirs militaires qui lui avaient été confiés. Cependant, derrière chaque cas de désertion se cachait souvent une histoire personnelle de souffrance, qui rend ces actes plus complexes qu'une simple trahison.
Il est soupçonné de désertion pour avoir changer 4 fois de versions :
une blessure causée par un éclat d’obus reçu au moment de la relève
une blessure occasionnée par le frottement de la main contre les objets d’équipement des soldats du 276 RI qu’il croisait dans la sape, au moment où il aurait été blessé
un éclat d’obus reçu 15 jours auparavant à Neuville Saint-Vaast,
un résidu restant de la 1ère balle reçue en septembre.
Alfred Léon est présenté comme un habitué du poste de secours, peu apprécié de ces camarades et conformément à l’article 213 du code de justice militaire, il est condamné à mort pour « abandon de poste en présence de l’ennemi » ; pour se défendre, il n’a rien déclaré...
Pendant la Première Guerre mondiale, certains soldats se tiraient volontairement sur un membre pour se mutiler et ainsi éviter de retourner au front, une pratique connue sous le nom de « mutilation volontaire ». Certains se tiraient dans le pied, des endroits où les blessures étaient moins susceptibles d’être fatales mais suffisamment graves pour nécessiter une évacuation. Cette blessure spécifique, entre les doigts, semble être vécue comme une tentative de minimiser les dommages tout en étant suffisamment grave pour justifier une évacuation médicale. C’était une manière désespérée pour les soldats de fuir les horreurs des tranchées. D’autres se coupaient ou se blessaient volontairement un doigt ou un orteil. Les plus déterminés utilisaient des flammes ou des produits chimiques pour se brûler la peau ou bien se cassaient volontairement un os en utilisant des objets lourds ou en se jetant contre des surfaces dures.
Les soldats qui se livraient à ces pratiques le faisaient par désespoir, face aux conditions terribles des tranchées et à la peur constante de la mort. Les coupables de mutilation volontaire étaient stigmatisés et déshonorés, entraînant des conséquences sociales et psychologiques durables. Mais quelle importance….
La décision de Alfred Léon en fait-elle pour autant un lâche ou tout simplement un être humain accablé par la souffrance et la solitude de la guerre…. Cette tentative désespérée de survie est plutôt une réaction à un état de détresse psychologique extrême : la peur et la fatigue intense lui ont ôté tout discernement.
Derrière cet acte, il y avait la volonté de survivre, de ne plus être une simple pièce dans une machine de destruction.
En fusillant les déserteurs, les chefs militaires espéraient dissuader d’autres soldats de faire de même. Les exécutions publiques servaient d’exemple pour les autres soldats, renforçant l’idée que la désertion entraînerait des conséquences sévères ; en punissant sévèrement, les commandants cherchaient à maintenir le moral et la cohésion des unités.
Circonstances aggravantes : Alfred Léon, engagé volontaire, est accusé de désertion en présence de l’ennemi ; les volontaires étaient soumis à des attentes plus élevées en raison de leur choix d’engagement.
Alfred Léon n’avait que 20 ans… il a été condamné en 1915…. Deux ans plus tard, les mutineries font se faire entendre.
Au stade de mes recherches, je n’ai pas trouvé de condamné à mort pour « désertion » mais comme on dit, ce n’est pas parce que je n’en ai pas trouvé qu’il n’y en a pas ! Et je ne saurai jamais si quelques-uns de ma famille ont « pensé » à fuir devant l’ennemi – vous-mêmes en avez-vous peut-être dans vos arbres – une pensée toute légitime de protéger sa vie….
Qui serai-je pour oser le(s) juger, moi qui suis tranquillement assise devant mon ordinateur, au chaud, à la maison, un café brûlant qui attend, prêt à être consommé. Il est bien facile d’émettre des jugement de valeur sur des choix pris au siècle dernier, dans un autre contexte...
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Pour en savoir plus :
29 août 1914, la bataille de Guise | Conseil départemental de l'Aisne
Sur les chemins de la Grande Guerre : Souchez : anéanti par la guerre etrenaissant
Morts pour la France en 1915 dans la boue de Souchez -www.histoire-genealogie.com
Ceux de 14 : l'assaut (youtube.com)
Guerre 1914-1918 ~ Les fusillés de la Première Guerre mondiale —Geneawiki
Fusillés de la Première Guerre mondiale - Mémoire des hommes (defense.gouv.fr)
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