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Quatrième de couverture : « L'Alsace est opulence : fleurs en guirlandes aux balcons, lumière dorée sur les grappes sucrées, friandises à la cannelle, Noël toute l'année. Mais l'Alsace est une blessure insondable, une guerre fratricide, un élan lancinant qui me fend la poitrine. En moi, elle a laissé son empreinte. J'en viens, j'en suis, je ne peux lutter. L'Alsace me hante, me ronge et me réjouit à la fois. Je voudrais savoir pourquoi, je voudrais comprendre, chercher mes racines, puiser à la source. La mère de la mère de ma mère était alsacienne. Elle s'appelait Jeanne.
L’histoire de Jeanne, née allemande en 1880, dévoiel celle de l’Alsace tiraillée entre deux pays, celle d’une famille héritière de la source pétillante de Soultzmatt, celle des blessures et des secrets qui éclaboussent la descendance. Une enquête généalogique sur sept générations, de mères en filles : une quête de vérité, un retour aux sources, une invitation à découvrir que chacun porte en soi l’élan pour surmonter ses faiblesses. »
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Dieu qu’elle est belle cette couverture, qu’il est doux au toucher ce livre : un hasard ou bien un appel à la démesure ?
Pas à pas, au fil des chapitres, je mesure le travail douloureux – oserai-je dire viscéral – que l’auteure a effectué. C’est d’ailleurs une démarche que chaque généalogiste entreprend, sans toujours savoir mettre un mot ou une phrase sur des sensations, des supputations, des questionnements, voire des interprétations. Ce travail est le fruit d’une enquête généalogique approfondie et d’un parcours expérimental qui corrobore les théories de psychogénéalogie et de mémoire corporelle.
Si vous vous attendez à lire une histoire romanesque et chronologique comme la plupart des écrivains savent les rédiger, passez votre chemin. Ce livre est une longue maturation, où avec force et douleur, l’auteure s’est « frayée un avenir dans les chemins creux congestionnés d’orties ».
Avec passion. Avec acharnement. Avec patience et pugnacité.
D’abord, le temps de l’introspection : « un travail de mémoire au sens propre. Laisser aussi l’Alsace imprégner mes cellules, capter mon attention, guider mon énergie. Aller plus loin que ce que seule la raison dévoile. ». Une introspection sans filtre – ou du moins j’ose le croire même si certains aspects ne doivent pas dévoiler un jardin trop secret.
Puis vient celui du dépouillement : « au-delà des détails, trouver la structure, l’armature, le squelette de l’arbre qui relie ses racines à ses rameaux ».
Enfin, l’enquête : « c’est à cette étape (…) que j’irai physiquement, charnellement à la rencontre de Jeanne. »
Et pour notre plus grand plaisir, arrive l’écriture. L’auteure a la « chance de disposer d’une iconographie fournie » ; la documentation est abondante et permet un récit rédigé avec sincérité, rigueur et émotion. Dresser le bilan des drames familiaux sur 7 générations de femmes n’est pas aisé mais Laure Mestre a la plume facile, le discours éloquent et le vocabulaire étoffé.
« Quelle est l’énigme à résoudre ? Comment faire décanter la boue, clarifier l’eau en même temps que la situation ? Comment fluidifier, faire circuler, désobstruer ? Redonner transparence, c’est voir le fond. »
Je ne sais pas si je suis très objective pour présenter ce livre, tant il m’a plu, tant il m’a fascinée, tant je me suis nourrie de cette rédaction, tant il a résonné en moi ; j’y voyais des balades au cœur des Vosges lorsqu’adolescente je passais mes vacances à Saint-Amarin ; je sentais l’odeur des sapins ; j’ai mesuré la douleur de mes ancêtres contraints d’abandonner leurs biens, la fierté d’une langue souvent malmenée et discréditée ; j’ai compris cette droiture que mon père m’imposait…
Inévitablement, cette lecture s’accompagne d’interpellations, d’énigmes non résolues, d’interrogations, mais jamais de jugement ; qui sommes-nous d’ailleurs pour nous permettre de juger nos ancêtres ; ils faisaient ce qu’ils pouvaient, avec leur âme et conscience… ou pas….
« Parce que je porte l’aveu et la réparation puisque je m’appelle Laure et non pas Cécile. (…) Parce que mon esprit de curiosité, d’intuition et d’ordre a fait de moi une apprentie généalogiste. Parce que je cherche sans cesse à comprendre, à déduire, à aimer : le transfert entre générations est un transport d’affection ».
L’auteure l’a bien compris et nous transmet un message : « connaître pour comprendre, comprendre pour transmettre, transmettre pour aimer ».
Bien sûr, ce livre ne s’est pas écrit sans douleurs ; et l’auteure confesse sereinement qu’Alix, somatothérapeute, l’a accompagnée tout au long de ce parcours éprouvant ; elle « accueille et apaise ma souffrance qui rejoint si souvent celle de ma mère, figée par le froid depuis son adolescence (….) Les frissons m’agitent : je dois me mettre en mouvement, je dois parler. »
Des naissances aux décès, des mariages aux migrations, chaque étape lui révèle une facette de son héritage, lui permettant de reconstituer le puzzle complexe de son histoire familiale. Il est des secrets que l’on ne peut taire….Au cœur de cette introspection réside la généalogie, une quête profonde pour comprendre, pour expliquer. Alors, au travers des archives poussiéreuses, des récits fabuleux et des dessins révélateurs, l’auteure découvre des visages oubliés, des noms gravés dans la pierre, des histoires transmises de génération en génération, et des secrets inavoués…
Chaque découverte est une révélation, quelquefois une indiscrétion, chaque nom une invitation à plonger plus profondément dans les méandres de son passé. Nous suivons avec elle les traces de ses ancêtres, illustres pour certains, parcourant des chemins de traverse pour d’autres. Mais qui leur en voudrait….
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Pour en savoir plus :
Histoire des Sources de Soultzmatt (Site officiel des Eaux des Sources de Soultzmatt)
Traumatismes en héritage (Isabelle MANSUY)
Histoire d’une foi (Véronique Belem)
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