mercredi 18 décembre 2024

L'ordre du jour de Eric VUILLARD

Nous sommes un lundi, un lundi qui débute comme tous les autres…. Comme tous les autres ? Pas tout-à-fait. Parce qu’après ce lundi 20 février 1933 : rien ne sera plus comme avant.

Vingt-quatre hommes sortent de leurs berlines noires, « vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paire d’épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois pièces, et le même nombre de pantalons à pince avec un large ourlet. Les ombres pénètrent le grand vestibule du palais du président de l’Assemblée ; mais bientôt, il n’y aura plus d’Assemblée, il n’y aura plus de président, il n’y aura même plus de Parlement, seulement un amas de décombres fumants. »

« les vingt-quatre sphinx » sont :

  • Albert gler, (1877-1945) industriel allemand et dirigeant de la société minière Forges et Mines Germano-luxembourgeoises, magnat de l'acier, fondateur en 1919 du Deutsche Volkspartei (DVP, réactionnaire). Finance le parti nazi avant sa prise du pouvoir en 1933. Notable du Troisième Reich. Se suicide lors de son effondrement,

  • Gustav Krupp von Bohlen und Halbach (1870 – 1950) dirige l'entreprise Krupp jusqu'en 1943. Il comptait parmi les 24 principaux accusés du procès de Nuremberg, la procédure engagée contre lui a cependant été suspendue pour des raisons de santé (sur la photo à gauche)

  • Wilhlem von Opel (1871 – 1948) un des fondateurs du constructeur automobile allemand Opel, introduisant la chaîne de montage dans l'industrie automobile allemande ; il rejoint le parti nazi et en devient rapidement un partisan actif, apportant des contributions financières aux SS et recevant le titre de mécène ; en janvier 1947, il fut reconnu coupable par un tribunal de dénazification et dut payer une forte amende ; il mourut l'année suivante,

  • nther Quandt (1881 – 1954) industriel allemand dont la seconde femme Magda – dont il divorce en 1929 - épousera deux ans plus tard le militant nazi et futur ministre de la Propagande de Hitler, Joseph Goebbels ; il sera nommé chef de l'économie de l'armement,

  • Friedrich Flick (1883 – 1972) industriel allemand, magnat de l'acier , bénéficie de l'expropriation des Juifs, et de l'exploitation des déportés dans les camps de concentration ; condamné à 7 ans de prison lors des procès de Nuremberg, il n’en fait 3, puis redevient l'une des plus grandes fortunes mondiales,

  • Ernest Tengelmann (1870 – 1954) directeur de mine et siégea finalement au conseil d'administration des mines de charbon d'Essendirecteur général et président du conseil d'administration d'Essener Steinkohlenbergwerke AG et président du conseil d'administration de Gelsenkirchener Bergwerks-AG. Avec Carl Hold et Gustav Knepper, il fut l'une des figures les plus influentes de l'exploitation minière de la Ruhr

  • Fritz Springorum (1886 – 1942) industriel et homme politique allemand . Il a occupé des postes de direction chez Hoesch Aktiengesellschaft pendant plus de deux décennies . président de « l'Association pour la protection des intérêts économiques communs en Rhénanie et en Westphalie », dite Association Langnam en raison de son nom long, membre de l' Association industrielle de la Ruhrlade, membre du Parti national populaire allemand (DNVP) national-conservateur et anti-républicain ; en tant que successeur d'Albert Vögler, il prend la présidence de l'Association des métallurgistes allemands (VDEh) en 1936, mais abandonne ce poste en 1939 pour cause de maladie,

  • August Rosterg (1870 – 1945) industriel allemand, directeur général de Wintershall AG ; il a eu une influence significative sur l'exploitation minière allemande de la potasse

  • Karl Buren directeur général de Braunkohlen- und Brikettindustrie AG, membre du conseil d'administration de Deutschen Arbeitgeberverbände,

  • Gunther Heubel (1871 – 1945) président de l'Association minière de Basse-Lusacen juillet 1933, il est nommé président de la « Deutscher Braunkohlen-Industrievere ; ein e.V. » et chef du groupe spécialisé en lignite ; il est membre du conseil de surveillance de « Braunkohle-Benzin AG » (BRABAG) depuis sa création en 1934 ; lorsque les soldats russes arrivèrent dans le jardin, il se suicida le 20 avril 1945 dans son ancienne résidence officielle à Annahütte

  • Georg von Schnitzler (1884 – 1962) en 1927, il supervisa la création d'un cartel franco-allemand de vente de teintures et, en 1932, il y ajouta des sociétés suisses et britanniques, membre du conseil d'IG Farben. il rejoignit la Sturmabteilung (Storm Division) en 1934 et occupa finalement le grade de Hauptsturmführer Il a été admis au parti nazi lui-même en 1937

  • Hugo Hermann Stinnes, membre du conseil d'administration du Reichsverband der Deutschen Industrie, membre du conseil de surveillance du Syndicat rhénan-westphalien du charbon

  • Eduard Schulte (1891 – 1966) directeur général de Giesches Erben, Zink und Bergbaubetrieb, industriel allemand important et l'un des premiers à alerter les Alliés sur l'extermination systématique des Juifs dans l'Allemagne nazie et dans l'Europe occupée ; ill est reconnu Juste parmi les nations par le Yad Vashem,

  • Ludwig von Winterfeld (1880 – 1956) entrepreneur allemand chez Siemens-Schuckertwerke et Siemens & Halske AG. membre du conseil d'administration de Siemens & Halske AG et Siemens-Schuckertwerke AG.

  • Wolf-Dietrich von Witzleben (1886 – 1970) fils de Carl Ludwig von Witzleben (1853-1900), entrepreneur allemand ; jusqu'en 1966, il fut président du conseil de surveillance de Siemens & Halske AG et de Siemens-Schuckertwerke AG, les deux sociétés mères de ce qui deviendra plus tard le groupe Siemens.

  • Wolfgang Reuter directeur général de Demag, président de Verband Deutscher

  • August Diehn (1874 – 1942) membre du conseil d'administration de Wintershall AG. Après 1933, il devient membre du F-Kreis (organisation d'industriels qui conseillaient le ministère allemand de la Propagande) et chef de brigade SS . Il a été membre du Conseil général de l'économie et a occupé diverses fonctions au sein du conseil de surveillance,

  • Erich Fickler (1874 – 1935 ) président du conseil d'administration et directeur général de Harpener mining AG , membre de la Ruhrlade et président du conseil de surveillance du syndicat charbonnier rhénan-westphalien ; il fut l’un des premiers financiers du parti nazi,

  • Hans Loewenstein (1874 – 1959) fonctionnaire minier allemand, homme politique et délégué du Reichstag,

  • Ludwig Grauert (1891 – 1964) avocat allemand qui fut secrétaire d' État au ministère de l'Intérieur prussien et du Reich dans l'Allemagne nazie et joua un rôle dans la rédaction du décret d'incendie du Reichstag . Il était également SS- Brigadeführer .

  • Kurt Schmitt (1886- 1950) membre du CA d’Allianz, membre du parti nazi ; le 29 juin 1933, il est nommé ministre de l'Économie du Reich, remplaçant Alfred Hugenberg, puis nommé membre honoraire de la SS ?

  • Hjalmar Schacht (1877 - 1970) ancien président de la Reichsbank, membre du cercle Keppler, ministre des Finances et conseiller particulier d'Adolf Hitler depuis son accession au pouvoir jusqu'en 1943, promoteur de la politique économique mercantiliste de redressement de l'Allemagne à partir de 1933, il fut inculpé, puis acquitté par le Tribunal de Nuremberg.

  • August von Finck (1898 – 1980) banquier et homme d'affaires allemand, il était le fils du banquier Vilhelm von Finck (1848-1924), fondateur du géant de l'assurance Allianz et de la banque privée Merck Finck & Co ; en raison de ses liens étroits avec le régime d' Adolf Hitler , il était surnommé « le banquier d'Hitler »

  • Ernst Brandi (1875 – 1937) ingénieur minier allemand, directeur industriel et président de la Ruhrbergbau

Le cigare à la bouche, ils attendent : « nous sommes au nirvana de l’industrie et de la finance. » Ils représentent Krupp, BASF, Bayer, Agfa, Opel, IG Farben, Siemens, Allianz, Telefunken…

Hermann GOERING (1893 - 1946), président du Reichtag, arrive, puis Hitler, le nouveau Chancelier. La réunion secrète pouvait commencer : « il fallait en finir avec un régime faible, éloigner la menace communiste, supprimer les syndicats et permettre à chaque patron d’être un Führer dans son entreprise. »

Son objectif ? Récolter des fonds pour le financement du parti nazi.

Voici un récit historique comme je les aime, court mais pointu, documenté et intense ; l’auteur Eric Vuillard nous entraîne dans les méandres de l'annexion autrichienne.

Les mécanismes semblent bien huiler ; on y rencontre Lord HALIFAX, chancelier de l’Echiquier, Kurtvon Schuschnigg, le « petit dictateur autrichien », lâche et sans envergure, Arthur Seyss-Inquart et son ascension fulgurante de SS « Gruppenfuhrer », Joachim von Ribbentrop, ambassadeur de reich, puis ministre des Affaires Etrangères « remarqué par Adolf Hitler pour son aisance, son élégance old fashion et sa courtoisie, au milieu de ce qu’était le parti nazi, un ramassis de bandits et de criminels » mais aussi Dalladier ou Albert Lebrun, président de la République Française, sans grand charisme semble t-il….

D’un ton sarcastique, l’auteur énonce les faits et même si un grain de sable dans la mécanique des panzers ridiculise quelque peu cette armée allemande, il en faudra beaucoup pour empêcher la machine infernale d’avancer ! L’Allemagne nazie a envahi l'Autriche, la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Hongrie, la Norvège, le Danemark, la Finlande, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, la France… sans oublier la Grèce, l’Albanie et bien d’autres encore.

On voulait nous faire croire que tout a débuté avec l'anschluss : et pourant, « juste avant l’Anschluss, il y eut plus de mille sept cent suicides en une semaine. Bientôt, annoncer un suicide dans la presse deviendra un acte de résistance. Quelques journalistes oseront encore écrire « décès subit » ; les représailles les feront vite taire. »

Les chapitres s’enchaînent rapidement au rythme d’une dévastation méphistique. Mais ce terrible raz-de-marée n’a pas été désastreux pour tous ; certains en ont tiré « quelques avantages ».

« La guerre a été rentable. Bayer afferme de la main d’oeuvre à Mauthausen, BMW embauchait à Dachau, à Papenburg, à Sachsenhausen, à Natzweiler-Stuthof et à Buchenwald. Daimler a Schirmek ; IG Farben recrutait à Dora-Mittelbaum, à Gross-Rosen, à Sachsenhausen, à Buchenwald, à Ravensbruck, à Mauthausen, et exploitait une usine gigantesque dans les camps d’Auschwitz : l’IG d’Auschwitz, qui en toute impudence figure sous ce nom dans l’organigramme de la firme. Agfa recrutait à Dachau. Schell à Neuengamme. Schneider à Buchewald. Telefunken à Gross-Rosen et Siemens à Buchenwald (…) tout le monde s’était jeté sur une main d’oeuvre si bon marché. (…)

Sur un arrivage de six cents déportés, en 1943, aux usines Krupp, il n’en restait un an plus tard que vingt. »

Je tourne la dernière page du livre et je me sens mal, très mal ; de la réunion d’industriels et financiers allemands, complices de la barbarie nazie, j’étais naïvement persuadée qu’ils avaient tous « payés ».

Le bruit des bottes qui claquent sur les pavés n’est jamais bien loin. Gardons-nous des brutes mégalomanes qui sommeillent encore dans notre vie politico-économique.

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Pour en savoir plus :

Allemagne : l'interminable chasse aux Nazis | Les débats de Débatdoc

Nazisme : l'extermination par le travail... | Les débats de Débatdoc

Déclinisme, complotisme : nouvelles croyances pour une histoire en perte de sens?

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