mercredi 11 décembre 2024

T comme TERMINONS cette fiche matricule ou l’histoire d’Alphonse SIAT (2)


Avec une première lecture de la fiche matricule lors de l’article précédent, j’ai appris que Alphonse SIAT était alsacien ; il résidait à Niederhaslach, sous la domination allemande ; en effet, à la date de sa naissance en 1878, l’Alsace était déjà annexée. Tous les documents administratifs (ci-dessous un recensement de 1880) étaient donc écrits dans la langue de l’Empire.

De nombreux Alsaciens ont quitté leur région, contraints et forcés ; d’autres influencés par le nationalisme allemand, ont pu voir l'annexion comme un retour à leurs racines germaniques. Le gouvernement allemand avait mis en place des politiques de germanisation et de propagande pour encourager l'acceptation de l'annexion. Mais il faut dire que beaucoup d'Alsaciens étaient mécontents de cette « invasion » et ont exprimé leur résistance de diverses manières, y compris par des mouvements de protestation et des actes de désobéissance civile.

A ses 18 ans, Alphonse s’est engagé dans la Légion Étrangère pour une durée de 5 ans ; p uis il a obtenu la naturalisation en 1901 :

Penchons-nous maintenant sur ses états de service dans le 1er Régiment Étranger.

Le 26 juin 1897, il est donc engagé volontaire et se rend à la caserne de Nancy ; du 3 juillet 1897 au 31 octobre 1898, il est envoyé en Algérie. Il est alors soldat de 2ème classe.

Puis du 1er janvier 1899 au 18 novembre 1901, il est expédié avec ses camarades de la Légion Étrangère au Tonkin, actuel nord du Vietnam ; les soldats ont pour mission de pacifier la région, sécuriser les territoires nouvellement conquis et protéger les populations locales contre les révoltes organisées par les Pavillons Noirs (bandits chinois) à l’initiative du célèbre seigneur féodal Dèo Van Tri.

La France voulait établir une présence forte en Extrême-Orient, non pour protéger les missionnaires catholiques et les populations locales persécutées, ainsi qu’elle le prétendait, mais surtout pour profiter du commerce et de l'exploitation des ressources naturelles : la culture du riz, du poivre, du thé, de l’hévéa, la production de café ou bien encore l’extraction du charbon, du zinc et de l’étain.

Pour son intervention, Alphonse a reçu la « Médaille coloniale du Tonkin », une décoration destinée à reconnaître les services rendus durant les opérations militaires en Indochine.

Du 21 décembre 1901 au 25 juin 1902, il retourne en Algérie. Il est alors « clairon ». Le soldat-clairon a pour mission de transmettre les ordres et les signaux aux troupes, notamment en situation de combat où les ordres vocaux pouvaient être difficiles à entendre : le réveil, le rassemblement, ou le cessez-le-feu étaient des sonneries réglementaires.. Comme les autres soldats, le clairon participe aux exercices militaires, aux parades, et aux différentes activités de la caserne.

A la fin de ses 5 années d’engagement, Alphonse passe dans la réserve de l’armée active. C’est-à-dire qu’il n’est plus en service actif – sans doute parce qu’il n’a signé de nouvel engagement – mais peut être rappelé en cas de besoin immédiat ; il peut notamment être rappelé pour des exercices, des entraînements ou en cas de mobilisation générale.

Justement, lors de la mobilisation générale le 3 août 1914, il est affecté au 42ème RI ; il ne se présentera pas et le 1er mars 1915 est déclaré « insoumis ». Les sanctions pour l'insoumission pouvaient inclure des peines de prison, des travaux forcés, voire la peine de mort dans certains cas.

Alphonse n'a pas rejoint son unité dans les délais impartis. Que s’est-il donc passé depuis son départ de l’armée ?

Le 9 janvier 1907, Alphonse a épousé Marie Louise MOSSER à Niederhaslach. Comment est-ce possible ? A t-il renié sa nationalité française pour venir se marier et rester dans son village natal ? Il y résidera au moins jusqu’en 1912, date de naissance de son 3ème et dernier enfant….

Suite au traité de Francfort de 1871, un Alsacien pouvait choisir entre la nationalité française et la nationalité allemande. Ceux qui optaient pour la nationalité française devaient quitter les territoires annexés et s'installer en France ou ailleurs. Les autres étaient considérés comme citoyens allemands et ont donc été appelés à combattre sous la bannière allemande durant la Première Guerre Mondiale.

Alphonse a très certainement dû faire face à un choix difficile concernant son identité, sa loyauté, l’amour de sa femme, ses enfants, sa famille et sa terre natale. Les Alsaciens français n'avaient pas le droit de franchir la frontière pour rendre visite à leur famille ; la région était une zone de guerre, et les autorités militaires imposaient des restrictions strictes sur les déplacements à travers la frontière.

Les Alsaciens français qui avaient été expulsés ou avaient fui l'Alsace allemande ne pouvaient pas retourner sans autorisation spéciale.

Au stade de mes recherches, je n’ai aucune réponse à apporter, mais beaucoup de questionnements...

Les soldats de la Légion Étrangère ont toujours été perçus de manière ambivalente. D'une part, ils sont souvent vus comme des mercenaires, recrutés parmi les criminels ou les hors-la-loi ; d'autre part, ils sont considérés comme des braves, des héros prêts à se battre pour la France et à défendre ses intérêts coloniaux. Alors il me plaît de penser qu’Alphonse est rester fidèle à sa patrie….et à son idéologie.

Beaucoup d'Alsaciens ont ressenti un fort sentiment d'opposition et de résistance, mais cela s'est principalement manifesté par des actes individuels et des mouvements clandestins plutôt que par une révolte organisée. Il est difficile d’être rebelle avec un revolver sur la tempe...

Mais j’ai un début de réponse dans la mesure où Alphonse est inhumé à la nécropole de Sarrebourg, nécropole nationale des prisonniers de guerre, créée en 1922, pour regrouper les corps des soldats français morts en captivité. Les corps ont été exhumés des cimetières provisoires rattachés aux camps d'internement et rapatriés à Sarrebourg.

Alphonse SIAT est décédé le 13 décembre 1917 à Berlin. Tout près de la capitale allemande, de nombreux camps accueillaient les prisonniers ; le plus notable d’entre eux est celui du Heuberg, qui détenait des prisonniers de guerre principalement russes et français.

Désormais veuve, Marie Louise s’est retrouvée en grande difficulté pour élever ses 3 enfants : en 1918, ils avaient respectivement : Joseph Alphonse 11 ans, Alice Louise Antoinette 8 ans et Madeleine Augustine 6 ans….


La fratrie a été adoptée pupille de la Nation ; le statut de pupille de la Nation a été créé par la loi du 27 juillet 1917 pour offrir une protection morale et matérielle aux orphelins de guerre et aux enfants de mutilés ou d'invalides. Les enfants pouvaient être adoptés pupilles de la Nation même si leur mère n'était pas décédée – ce qui est le cas de l’épouse de Alphonse - à condition que leur père ou leur soutien de famille ait été tué ou gravement blessé au cours de la guerre.

Les pupilles recevaient des aides financières, des subventions scolaires, des allocations pour les frais de maladie, et d'autres formes de soutien pour assurer leur éducation et leur intégration dans la société.

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Pour bien déchiffrer une fiche matricule, il est souvent nécessaire de mener des

recherches dans plusieurs archives. En effet, une fiche matricule ne contient généralement qu'une partie des informations relatives au parcours d'un individu, notamment son service militaire, ses affectations, et des éléments de sa vie civile. Pour compléter cette documentation et en comprendre pleinement le contexte, il est essentiel de croiser les données avec d'autres sources : vérifier les dates de naissance, de mariage ou de décès – et la venue d’enfants - obtenir des détails sur les événements auxquels le soldat a pris part, retrouver des dossiers supplémentaires, comme ceux concernant des blessures, des décorations, etc.….

Tous ces compléments d’informations permettent de replacer le soldat dans son contexte historique et personnel : voici donc une belle démonstration attestant qu’il est indispensable de croiser ses sources et données pour reconstituer une biographie la plus précise possible.

Même s’il demeure encore des zones d’ombre dans celle de Alphonse SIAT….

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Pour en savoir plus :

Prisonniers de la Première Guerre mondiale | Comité international de laCroix-Rouge - Index

L'affaire du Tonkin : histoire diplomatique de l'établissement de notreprotectorat sur l'Annam et de notre conflit avec la Chine : 1882-1885/ par un diplomate | Gallica

DuTonkin des pionniers à la mise en valeur de l'Indochine. Le symbolede «l’affaire Dupuis» (1872-1912) - Persée

Le Tonkin : Vues photographiques / prises par Mr le Dr Hocquard,Médecin-Major, avec l'autorisation de Mr le Général en chef duCorps Expéditionnaire | Gallica

Histoire :1883 - Conquête du Tonkin par Jean Balazuc.

La présence française en Indochine | Chemins de mémoire

Les camps de prisonniers en Allemagne (1914 - 1918)

Site officiel de l'amicale du 3e Dragons et de l'EED3 - Le camp deprisonniers du Heuberg

Adoptés par la Nation - www.histoire-genealogie.com

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