Dun-les-Places est une petite commune tristement célèbre pour un événement survenu durant la Seconde Guerre mondiale. Du 26 au 28 juin 1944, environ 3 000 soldats allemands ont envahi le village et ont arrêté tous les hommes. Les troupes allemandes cherchaient à réprimer les maquisards et à dissuader les civils de les soutenir ; le village était un refuge pour les réfractaires au Service du Travail Obligatoire (STO) et les maquisards ; les troupes ennemies recherchaient des « terroristes » et, après avoir subi des pertes lors d’un affrontement avec des résistants, ont exercé des représailles brutales contre les habitants.
Au cours de ces trois jours d’horreur, 27 hommes ont été fusillés par les nazis ; le village a été pillé et incendié. Cet événement est souvent comparé au massacre d’Oradour-sur-Glane.
Durant la Seconde Guerre mondiale, le Morvan a été une terre refuge pour de nombreuses personnes pourchassées et persécutées. Ce massif forestier était une zone privilégiée pour l'installation des maquis, groupes de combattants cachés dans les bois à partir de 1943.
Mais revenons à Jean Auguste….Depuis plusieurs générations, la famille BEAUJON a profondément installé ses racines dans les terres nivernaises.
Jean Auguste BEAUJON est le fils de Fiacre, sabotier de profession, demeurant à Mezocdefroy, un hameau de Dun, et de Reine CHAMPENOIS. Sur son acte de naissance, il est précisé que Fiacre ne sait pas signer son nom.
Jean Auguste est le dernier d’une fratrie de 3 garçons :
Joseph, l’aine, a sept ans de plus que lui,
Jean, le second, a seulement 3 ans de différence avec lui.
Jean Auguste n’a pas souhaité suivre la lignée des sabotiers ; je le retrouve sur Paris. Le 9 février 1901, il épouse Marguerite BOUCHE, fille mineure – elle a toutefois 20 ans – de Michel et Marie PAIRE, tous deux cultivateurs à Brassy, dans la Nièvre (AD75 n°75 page 42/141).
Jean Auguste exerce le métier de « garçon magasinier », il sait lire, écrire et compter, et il réside au 13 rue du Four à Paris.
A ses 20 ans, il s’est fait recensé comme tous les jeunes hommes de son âge, inscrits sur des listes et devant passer devant un conseil de révision pour évaluer leur aptitude au service militaire.
Durant 3 années, il a reçu une formation militaire complète, incluant l’entraînement au combat, la discipline militaire au 19ème bataillon de chasseurs à pied, une unité d’infanterie légère ; il a dû participer aux manœuvres et exercices militaires ce qui lui permit d’obtenir un « certificat de bonne conduite ». Le 1er novembre 1899, il passait « dans la réserve de l’armée active ».
En 1914, il a déjà 38 ans, il est toutefois mobilisé pour incorporer l’armée dans les Campagnes contre l’Allemagne : il y restera du 3 août 1914 au 31 janvier 1919.
Dès le 12 août 1914, il est incorporé au 285ème RI, dont le lieu de regroupement est Cosne, commune de la Nièvre située à une centaine de kilomètres de Dun-les-Places.
Tout le mois d’août, le régiment sillone les Vosges, la vallée de la Thur, escaladant le col de Bussang (727m), le col de Bramont (950m), le col d’Oderen (884m) ; il monte jusqu’à Lembach, à 6km de la frontière allemande pour redescendre sur Thann. En octobre et décembre, il est en artois, au nord de Lens. Passage à Mazingarbe, Grenay, puis retour à Nevers et Cosne.
De janvier à mai 1915, le 285ème RI vient prêter main forte au bataillon installé dans la région de Mazingarbe-Grenay-Lens ; les fosses 6 et 7, le hameau des Brebis sont quotidiennement pilonnés par l’artillerie allemande, en raison de la présence des mines de charbon.
Les combats sont si violents que trois hommes sont portés disparus et « condamnés à mort par contumace pour abandon de poste devant l’ennemi. » Un humoriste célèbre – et tragiquement disparu aujourd’hui – a dit que « la guerre, c’est moche », mais ces trois soldats évadés ont dû en voir de belles pour s’enfuir la peur au ventre...
Le 25 mai 1916, Jean Auguste est affecté au 256ème RI, son bataillon ayant été dissous et redispatché… Départ pour la Belgique et l’Yperlée.
L’Yperlée est une petite rivière qui traverse la ville d’Ypres. Ypres a été le théâtre de nombreuses batailles : la première ou bataille des Flandres, (20 octobre - 22 novembre 1914), la deuxième bataille d’Ypres (22 avril - 25 mai 1915), connue pour l’utilisation massive de gaz toxiques par les Allemands, une troisième bataille ou bataille de Passchendaele (31 juillet - 6 novembre 1917), celle à laquelle Jean Auguste a participé lors de combats rudes, pataugeant dans la boue, tant la région est marécageuse, s’accordant peu de repos dans des tranchées gorgées de rats et de poux.
Puis le régiment rejoint les troupes de la Somme à Maucourt, Lihons, Guerbigny et Erches pour ensuite gagner le front de l’est à Ammertzwiller, en Alsace.
Le 11 juillet 1915, Ammertzwiller avait déjà été gravement endommagé par une explosion causée par une opération militaire connue sous le nom de « bataille des mines ». Cette bataille impliquait des explosions souterraines, souvent déclenchées par des mines placées sous les positions ennemies ; l’armée allemande avait alors provoqué une explosion sous les positions françaises, entraînant la destruction massive du village. En 1917, Ammertzwiller restait une zone de conflit actif. Les combats et les bombardements continus ont empêché toute tentative de reconstruction ou de retour à la normale pour les habitants. Le village est resté une zone stratégique en raison de sa position sur le front, et les conditions de vie y étaient extrêmement difficiles.
Mais le 29 mars 1917, Jean Auguste est évacué malade pour « gale et ulcération de la verge ». Il est transporté par l’ambulance 301SP148, donc « une ambulance alpine déployée dans les Vosges ».
Non traitée, la gale est mortelle lorsqu’elle entraîne des complications telle qu’une septicémie, par exemple.
La gale est une affection cutanée très contagieuse, qui se propage par contact humain direct. Un seul contact pouvant suffire, il n’y a aucun doute sur l’origine de la contamination, bien évidemment sexuelle.
Les démangeaisons sont les principales alertes et souvent plus intenses la nuit. Jean Auguste a dû s’interroger sur ces griffures, ces croûtes et ces plaques de rougeurs qui résultaient d’un grattage intensif….. ou bien, il en connaissait l’origine.
Mais contrairement aux idées reçues, la gale n’est pas causée par un manque d’hygiène ; toutefois, dans les environnements comme les tranchées, où l’hygiène est plus qu’insuffisante, où la promiscuité est le quotidien des poilus, la propagation de la gale est inévitable.
Durant la Première Guerre mondiale, la prostitution était légale et réglementée ; les prostituées devaient être enregistrées et subir des examens médicaux réguliers pour contrôler les maladies vénériennes ; les maisons closes offraient notamment un certain niveau de protection et de contrôle sanitaire. Avec l’arrivée des troupes américaines en 1917, il y a eu une augmentation notable de la prostitution, en particulier dans les grandes villes ; les autorités locales ont dû gérer cette situation en mettant en place des mesures de contrôle sanitaire et en surveillant de près les activités des prostituées, mais le contrôle était difficile aux abords des camps militaires….
1917 est également une période de révolte ; la colère gronde ; les conditions de vie sont insupportables, les pertes humaines beaucoup trop élevées et les ordres sont perçus comme injustes ou insensés. Et puis, les hommes sont épuisés. Ceux qui partaient la fleur au fusil en août 1914 et comptaient rentrer pour Noël sont cassés ; certains se sont mutilés pour échapper aux massacres, d’autres sont morts...
Alors les hommes se mutinent, refusant collectivement d’obéir aux ordres, de monter en ligne pour de nouvelles offensives. Les conditions de vie effroyables, le froid, la boue, les bombardements incessants contribuent à cette montée de la colère.
Mais la répression est sévère ; de nombreux soldats sont traduits en conseil de guerre, certains sont exécutés.
Le 16 avril 1917, Jean Auguste revient au 256ème RI ; il y restera quatre mois pour être ensuite envoyé au 49ème RI le 6 août. Retour en Alsace, Guewenheim, puis la Champagne : Auberive, Tahure et La Galoche.
Le 16 juillet 1918, les troupes allemandes ont pris le contrôle des villages d’Auberive et de Tahure, situés dans le département de la Marne, entre Reims et Suippes ; leur avancée a été stoppée le soir même ; les forces françaises se préparaient à lancer une grande contre-offensive sous la direction du général Foch.
La Galoche a également été le théâtre de combats intenses et est aujourd’hui un site de mémoire important. Tahure a totalement été détruite.
Quelles sont les conséquences de la bataille d’Auberive ? L’offensive allemande a été stoppée ; les forces alliées ont pu stabiliser le front dans cette région.
Cette bataille a également marqué le début de la préparation de la grande contre-offensive alliée, qui, lancée le 18 juillet 1918, a été un tournant décisif de la guerre, permettant aux Alliés de reprendre l’initiative tout en préparant le terrain pour la victoire alliée.
Ces événements bien sûr ont contribué à l’effondrement progressif des forces allemandes et à la fin de la Première Guerre mondiale en novembre 1918.
La fin ? Je sens que je vais me faire insulter…. L’Armistice du 11 novembre est un cessez le feu et pour Jean Auguste, il ne sera démobilisé qu’en Février 1919.
Maintenant, il faut passer à la reconstruction.
Bien que la capitale n’ait pas été aussi dévastée que certaines régions du nord de la France, Paris a tout de même subi quelques dommages ; la priorité est donc donnée à la réparation des infrastructures tels que les ponts, les routes, et les bâtiments publics. De même, au regard d’une grande pénurie de logements pour les familles des soldats et les réfugiés de guerre, des efforts sont fournis pour construire de nouveaux logements et rénover ceux qui sont endommagés.
A son retour dans la vie civile, Jean Auguste a retrouvé un petit emploi de gardiennage : il a 44 ans et la vie continue...
A leur retour du front, les poilus ont rencontré de nombreuses difficultés : tous n’ont pas pu retrouver l’emploi qu’ils occupaient à leur départ ; les opportunités d’emploi étaient restreintes – même s’il fallait tout reconstruire – d’autant plus que les femmes et certains travailleurs étrangers avaient occupé leur place.
Je ne suis pas en mesure de dire si Jean Auguste est revenu blessé ; je parle « blessure physique » évidemment, car je n’ai aucun doute sur les traumatismes psychologiques qu’il a dû surmonter. A cette époque, on ne s’épanchait pas sur ses problèmes ; on était un homme ou on ne l’était pas, et surtout on ne pleurait pas…..
Les hommes qui montraient des signes de « faiblesse émotionnelle » étaient perçus de manière négative ; la société valorisait la bravoure, la stoïcité, et les soldats étaient censés faire preuve de courage face à l’horreur des combats.
Le couple n’a eu qu’un seul enfant, Joséphine Yvonne née en 1906. C’est une situation étrange pour l’époque, mais le couple était peut-être trop préoccupé par leurs emplois respectifs pour envisager une grande famille…. Je ne vais pas m’engager sur le terrain des supputations, elles seraient trop nombreuses. Car l’Histoire ne me dit pas si Marguerite a connu les problèmes de santé de son mari, et si elle lui a pardonné ses infidélités ; c’était une autre époque….
Si Marguerite est décédée à Brassy en octobre 1957 (mention sur l’acte de naissance AD 75 n°196 page 35/108), je n’ai pas retrouvé l’acte de décès de Jean Auguste.
Sur l’acte de mariage de sa fille Joséphine Yvonne, je note que Jean Auguste et son épouse sont bien présents et qu’ils résidents ensemble, en 1925, au 1 rue de Turbigo.
Sur le recensement de Paris 1931, Marguerite réside avenue Niel, avec une domestique à temps plein ; Jean Auguste n’est plus là….et puis au 25 rue Parmentier je retrouve Marguerite, inscrite dans le recensement de Paris 1936 ; elle vit désormais au domicile de sa fille et de son gendre.
Donc, j’en déduis que Jean Auguste est décédé entre 1925 et 1931.
Je n’ai rien trouvé dans les tables décennales sur Paris entre 1923-1932 ; il est donc très certainement décédé entre 1933 et 1936 mais les archives ne sont pas encore numérisées… ou bien il n’est pas décédé à Paris….
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Pour en savoir plus :
Le site officiel de Dun Les Places
Petite histoire du service militaire
Ville de Mazingarbe - La grande guerre (ville-mazingarbe.fr)
Journauxdes marches et opérations des corps de troupe - Mémoire des hommes(defense.gouv.fr)
Historiquedu 256éme Régiment d'Infanterie (chtimiste.com)
256èmeR.I. | Mémorial des régiments d'infanterie de la grande guerre(wordpress.com)
Sur le front intérieur du péril vénérien (1914-1918) | Cairn.info
Histoires14-18 : la naissance des bordels militaires (francetvinfo.fr)
Prostituées et soldats, le couple indissociable de la Grande Guerre(france24.com)
Poilus, prostituées et arsenic : la syphilis, l'autre combat des médecinsde la Grande Guerre | Egora
Guerre 1914-1918 ~ Les Ambulances de Guerre — Geneawiki
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