Le fleuve Loire, à la fois majestueux et dangereux, joue un rôle symbolique et narratif central ; ses berges et ses îlots sont souvent constitués de vases et de sables piégeants, capables d’engloutir un corps en quelques minutes ; la Loire peut cacher des remous puissants et des zones de tourbillons. Et en période de pluie, elle peut monter rapidement, emportant tout sur son passage ; les pêcheurs et les lavandières prenaient des risques quotidiens sans gilets ni cordages.
Boris Maleroy dit « le Prussien », un pêcheur rustre et solitaire, sauve de la noyade la belle Irène Lessager, une femme de la haute bourgeoisie, mariée à un officier Baptiste Lestang, parti au front. Ce geste héroïque devient le point de départ d’une passion interdite entre deux êtres que tout oppose.
Enfermée dans un mariage sans amour et une vie de château étouffante, Irène cède à l’attirance sauvage et fougueuse qu’elle ressent pour Boris. De cette union clandestine naît Aymar, un enfant rejeté par les deux familles bourgeoises Lessager et Lestang, prêtes à tout pour effacer cette « honte » et se garantir une réputation sans tâche.
Malgré toutes les tentatives de disparition orchestrées contre lui, Aymar survit. Il devient un adolescent, bien décidé à comprendre ses origines et à affronter les secrets enfouis.
Ce roman est une fresque humaine et dramatique, où l’auteur Gilbert Bordes déploie son talent de conteur pour explorer les ravages du secret et la puissance rédemptrice de l’amour. Ce récit est une plongée dans les ramifications familiales, les secrets de filiation et les dynamiques sociales au début du XXe siècle. Il utilise d’ailleurs le fleuve comme métaphore du destin car la puissante Loire est à la fois source de vie et de mort, lieu de rencontre et de disparition.
Pour la généalogiste en herbe que je suis, ce livre présente plus d’un intérêt. Les familles Lessager et Lestang représentent des lignées bourgeoises enracinées dans le terroir ; on retrouve aisément les alliances matrimoniales stratégiques, les héritages, et les luttes de pouvoir entre classes sociales.
Les hommes partis au front, les femmes sont restées seules, ce qui a entraîné des situations de filiation complexe ; les registres militaires, les actes de naissance et les archives notariales deviennent souvent des sources clés pour reconstituer les parcours familiaux. Quant aux enfants nés hors mariage, ils sont quelquefois absents des registres ou dissimulés sous des identités modifiées.
« L’enfant de Loire » est un roman de terroir historique, de création romanesque, mais dont les personnages sont inspirés du réel.
Boris, le pêcheur marginal, représente les exclus du système ; de nombreux pêcheurs ont réellement vécu sur les bords de Loire, souvent en marge de la société.
Irène, femme de la bourgeoisie emprisonnée dans un mariage arrangé, incarne les femmes privées de liberté, des épouses ou des sœurs « gênantes » dont l’enfermement social et affectif était leur quotidien à cette époque.
Aymar, l’enfant adultérin, est le symbole de la quête identitaire et du rejet social ; des enfants nés hors mariage ont d’ailleurs été cachés, déplacés, ou même rayés des registres. Ce roman montre bien comment les non-dits, les silences et les secrets peuvent traverser les générations....
Membre de l'École de Brive et également de la Nouvelle école de Brive, Gilbert Bordes est reconnu pour sa capacité à recréer des atmosphères réalistes, en s’appuyant sur des lieux, des mentalités et des événements historiques précis. Le roman se déroule entre 1914 et 1936, une période marquée par la guerre, les bouleversements sociaux et les mutations rurales.