mardi 2 septembre 2025

Entre coutume et nécessité

Voici un mariage très précoce : lui est âgé de 18 ans et elle, n’a que 13 ans.

Nous sommes en 1801, la France est encore marquée par les usages de l’Ancien Régime, même si elle entre dans l’ère napoléonienne. Le mariage n’est pas seulement une affaire de sentiments : c’est avant tout un acte social, économique, familial, presque toujours décidé par les parents.

À cette époque d’ailleurs, les parents ont un droit légal et moral sur le choix du conjoint de leurs enfants.

Rappelons notamment, qu’il est souvent énoncé que « le mari avait droit de vie ou de mort sur son épouse », alors que dire des enfants !

Mais ce n’est pas tout-à-fait juste : le mari n’avait pas un droit légal explicite de vie et de mort sur sa femme, mais les normes sociales et judiciaires lui accordaient une autorité telle que certains actes violents pouvaient être minimisés voire justifiés. La femme était perçue comme naturellement inférieure tant sur le plan physique, intellectuel que moral. La jeune fille passait de l’autorité du père à celle de son mari, sans autonomie juridique véritable ; elle était jugée incapable de discernement, donc moins responsable… sauf lorsqu’il s’agissait de la punir pour des écarts de conduite.

Le Code civil de 1804, le très célèbre Code Napoléon, est souvent présenté comme une avancée juridique majeure… mais pour les femmes, il a surtout été un retour en arrière en matière de droits et d’autonomie : soumission légale au mari (lui doit obéissance, et ne peut agir sans son consentement), incapacité juridique ( ne peut signer un contrat, ni gérer ses biens, et encore moins exercer une profession sans son autorisation), autorité paternelle renforcée (le père décide légalement de l’éducation, du mariage, et même du sort des enfants), inégalité devant l’adultère. Et oui, si l’adultère féminin est sévèrement puni par une incarcération, voire un enfermement dans un couvent, l’adultère masculin ne sera sanctionné que s’il est public ou s’il a lieu au domicile conjugal !

Nous ne sommes qu’en 1801 mais les pratiques du Code Napoléonien sont déjà en place et pour de nombreux siècles…..

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Avant le Code civil, les règles du mariage en France sont principalement régies par des coutumes locales et par le droit canonique, c’est-à-dire celui de l’Église catholique ; le mariage était une « affaire » très sérieuse et « arrangé » pour consolider des alliances familiales, transmettre des terres, ou assurer une stabilité économique. Ah j’oubliais l’incontournable loi révolutionnaire du 20 septembre 1792 !

Mais le mariage est avant tout un sacrement religieux et indissoluble une fois consommé ; le curé joue d’ailleurs un rôle central dans l’enregistrement et la célébration de cette cérémonie.

Revenons à nos deux jeunes futurs : bien que Jean n’ait que 18 ans, il est considéré comme apte à fonder un foyer, surtout s’il a un métier ou hérite d’une exploitation agricole. Jeanne a 13 ans, et bien que très jeune selon nos standards actuels, peut être mariée si elle est jugée pubère et « apte » à tenir un ménage. Mais cela ne signifie pas forcément qu’elle vivra immédiatement avec son époux : parfois, la cohabitation était différée. Mais gardons-nous bien de juger ce mariage et n’oublions jamais le contexte socio-historique de nos familles ; cette union reflète une époque aux valeurs et aux contraintes bien éloignées des nôtres.

Car ces mariages précoces étaient moins rares qu’on ne l’imagine, surtout si les familles cherchaient à stabiliser une situation économique ou sociale. Les rythmes de vie étaient accélérés : on devenait adulte plus tôt, on travaillait très jeune, et on se mariait trop jeune.

Le mariage est donc enregistré par l’officier d’état civil, avec mention explicite du consentement des parents entre :

  • Jean BAROIN, 18 ans, né à Chissey en Morvan le 10/07/1782, au hameau de Valouze, fils mineure de Jean, propriétaire, et de Claudine RICHARD, alors décédée,

  • et Jeanne CHARLOT, née à Cussy - une commune voisine – le 19/10/1787, demeurant au hameau de Ruisselle, sur la commune de Chissey en Morvan, fille mineure de Jean, propriétaire, et de Reine PATRUX.

« Les dits futurs procédant de l’autorité et du consentement de leur père et mère » sont unis par les liens du mariage et ceci, même si aucun des témoins présents à la cérémonie ne sait signer.

Ce mariage, bien que surprenant aujourd’hui, s’inscrit dans une logique sociale de l’époque où l’individu était souvent subordonné à la volonté familiale. L’amour n’était pas toujours au cœur de l’union — il pouvait venir plus tard, ou rester absent. Ce qui comptait, c’était l’équilibre entre familles, la transmission des biens, et la stabilité du foyer.

Donc, ce 8 janvier 1801, dans le petit village de Chissey-en-Morvan, alors encore imprégné des traditions rurales de l’Ancien Régime, deux jeunes gens se sont unis devant Dieu et la République : Jean BAROIN, âgé de 18 ans, et Jeanne CHARLOT, tout juste 13 ans.

Ce n’était pas un mariage d’amour tel qu’on l’imagine aujourd’hui, mais plutôt une alliance entre familles, une promesse d’avenir dans un monde où la terre, le travail et la stabilité comptent plus que les sentiments. Jean, jeune homme robuste, déjà engagé dans les travaux agricoles auprès de son père, est en âge de prendre femme et de bâtir son propre foyer. Il n’a presque pas connu sa mère, décédée à ses trois ans ; c’est sa belle-mère Lazarette GUENOT qui occupe depuis longtemps le lit auprès de son père.

Avec Claudine RICHARD, Jean BAROIN, le père, a eu 7 enfants :

  • Antoinette, née en 1773

  • Claudine, née en 1774

  • Lazarette, née en 1775

  • Sébastienne, née en 1777, décédée à l’âge de 4 ans

  • Jean, né en 1780, décédé à 8 mois

  • Jean, qui épousera Jeanne (mes SOSA 88 et 89)

  • Pierre, né en 1785, décédé à 5 mois ;

Claudine RICHARD décède le 21 octobre 1785, soit 5 jours après la naissance de son dernier-né Pierre. Jean BAROIN, le père, se retrouve veuf avec 3 filles âgées respectivement de 12, 11 et 10 ans, et son seul et unique fils, Jean, 5 ans. Le 7 février 1786, il prend donc pour épouse Lazarette GUENOT ; Jean a déjà 41 ans ; le nouveau couple aura 3 enfants : Reine, décédée à un an, Jean décédé à 4 ans et Françoise ne vivra qu’une petite année, quelques mois seulement après le décès de sa mère….

Jeanne, 13 ans, adolescente selon nos critères modernes, est considérée comme prête à devenir maîtresse de maison, à apprendre les gestes du quotidien, à se préparer à la maternité.

Peut-être que Jean et Jeanne ne se connaissaient que peu avant ce jour. Peut-être qu’ils avaient échangé des regards furtifs lors d’une foire ou d’une messe. Ou peut-être que leurs parents avaient tout décidé, dans l’espoir de renforcer les liens entre deux lignées locales. Ce qui est certain, c’est que leur union reflète une époque où l’individu s’effaçait souvent derrière les besoins du clan, où l’avenir se construisait jeune, et où l’amour — s’il venait — arrivait après le devoir. Une bien triste époque….

Ce mariage, aujourd’hui étonnant, nous rappelle combien les temps ont changé. Mais il témoigne aussi de la force des racines, de la résilience des familles, et du courage silencieux de ceux qui ont bâti notre histoire.

Mariage arrangé ou stratégique, il pourrait avoir été contracté pour des raisons patrimoniales ou sociales, sans intention immédiate de cohabitation ou de procréation ; les époux ont peut-être vécu séparément pendant quelques années après le mariage, d’autant plus que Jeanne sortait de l’enfance.

Peut-être que, derrière cette alliance précoce, se cache une histoire plus profonde — celle d’un père brisé, et d’un fils qu’il veut ancrer dans la vie.

Le père de Jean, veuf à plusieurs reprises, a vu s’éteindre femmes et enfants, emportés par les fièvres, les accouchements ou les hivers trop rudes. Dans ce monde rural où la famille est le pilier de la survie, chaque perte est une fracture. Alors, quand Jean atteint l’âge de raison, son père décide : il faut reconstruire, il faut transmettre, il faut que la lignée tienne.

Jeanne, jeune mais robuste, issue d’une famille voisine, devient l’élue. Le mariage est célébré, sobre et silencieux, comme une promesse faite au passé. Pourtant, les premières années sont sans enfant. Jeanne grandit, mûrit, et ce n’est qu’en 1807, à dix-neuf ans, qu’elle donne naissance à leur premier enfant. Un délai qui parle : peut-être d’un corps trop jeune, peut-être d’une attente tacite, peut-être d’un respect discret entre deux êtres liés trop tôt.

Ce couple, né dans la douleur d’un père endeuillé, traversera les décennies. Et dans les registres, entre les lignes des actes, on devine une résilience : celle d’une famille qui, malgré les pertes, choisit de croire en l’avenir.

Et n’allez pas me dire que c’est une histoire de « ruralité »…. Car à Paris, c’est la même chose !

Pour preuve, Athalie Marie BELLANGER, troisième épouse de mon SOSA 8, a eu son premier enfant à 14 ans….

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Pour en savoir plus :

Loi qui détermine le mode de constater l'état civil des citoyens. Du 20septembre 1792, l'an quatrième de la liberté (livre numérique)