vendredi 26 septembre 2025

Florent HEINRICH (1833 – 1898), un homme de devoir et de fidélité

En explorant mes branches familiales, j’ai retrouvé un ancêtre décoré de la Légion d’Honneur, originaire d’Oberhaslach, un tout petit village du Bas-Rhin. Ce lieu m’a tout de suite interpellée : dans un village aussi modeste, les liens familiaux sont souvent étroits… et je ne me suis pas trompée.

Ce Florent HEINRICH, brigadier de gendarmerie, est en réalité le neveu de Catherine HEINRICH, épouse d’Antoine DEIBER, lui-même frère aîné de Nicolas, mon SOSA 32. Florent est le fils de Joseph HEINRICH, boulanger, et de Marie Anne KRIEG.

Ce genre de rencontre inattendue nous rappelle que derrière chaque nom, chaque lieu, se cache une histoire à reconstituer… et parfois, une médaille à découvrir !

Florent est le 3ème enfant d’une fratrie de huit : son frère aîné Jacques est décédé à 24 mois bien avant sa naissance, ensuite vient Joséphine qui épousera un instituteur. Florent est donc le premier enfant mâle tout désigné pour succéder à son père, boulanger.

Il est né le 19 octobre 1833 à Oberhaslach, un petit village du Bas-Rhin, dans le massif vosgien ; Oberhaslach est nichée dans les contreforts des Vosges, au cœur de la vallée de la Bruche, zone de transition entre Alsace et Vosges ; le contraste est saisissant : on passe d’un monde rural et montagnard à une ville cosmopolite, administrative et commerçante. Le relief y est vallonné, boisé, souvent escarpé ; cette Alsace montagnarde prend de la hauteur : loin des vastes étendues de la plaine, elle se drape de forêts et de crêtes.


Oberhaslach est à environ 40 km de la capitale régionale, Strasbourg, côté est : il faut alors descendre dans la vallée, en passant par Mutzig et traverser le piémont vosgien. On quitte progressivement les montagnes, forêts et ruisseaux pour retrouver les terres plates et fertiles de la plaine d’Alsace ; l’ambiance y est bien différente avec ses champs ouverts, ses vignobles admirablement bien alignés, ses villages aux maisons à colombages dont les fleurs écarlates tranchent avec le noir des bois peints.

Côté ouest, à 100 km, se situe la ville d’Épinal, capitale vosgienne, que l’on atteint en passant par Lutzelhouse et La Broque. Épinal est une ville de garnison, avec une forte présence militaire et policière.

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Alors qu’il travaillait auprès de son père, , Florent prête serment et s’engage dans la gendarmerie en 1859 ; pourquoi choisit-il de quitter le métier familial pour s’engager dans la gendarmerie ?

Être gendarme au XIXe siècle, c’est accéder à un statut reconnu, stable et respecté. ; la gendarmerie offre un salaire régulier, une position d’autorité dans la société rurale. Pour un fils de boulanger, c’était une ascension sociale possible sans passer par les études longues ou les héritages.
Oberhaslach est un petit village avec peu d’opportunités, peu de perspectives. S’engager, c’est oser quitter le cercle familial et élargir ses horizons professionnels et personnels
En 1859, la France est engagée dans la campagne d’Italie (guerre contre l’Autriche). Même si Florent n’est pas soldat de ligne, le climat est à la mobilisation volontaire, et au sentiment national renforcé

Le 21 octobre 1851, il entre au 4ème Régiment de Cuirassiers comme engagé volontaire pour une durée de sept ans : il a alors 18 ans ; le 2 décembre 1852, il est nommé « brigadier » ; le 16 juin 1854, le voici « Cavalier au Régiment de Cuirassiers de la Garde Impériale », puis « Brigadier » le 7 septembre de la même année. Le 17 août 1856, il est « Maréchal des Logis ». 1858, il s’engage de nouveau pour sept années supplémentaires.

Florent HEINRICH avait l’allure droite et fière d’un cavalier. Du haut de son mètre soixante-seize, il imposait une présence calme mais assurée. Son visage, aux contours ovales, était encadré par une chevelure châtaine, épaisse et disciplinée, que prolongeaient des sourcils de même teinte, légèrement arqués.

Ses yeux, d’un gris bleuté, reflétaient à la fois la rigueur du métier et une forme de douceur intérieure. Le nez, large et franc, dominait un visage équilibré, où la bouche moyenne et le menton affirmé dessinaient une expression de détermination tranquille.

Florent n’était pas un homme flamboyant, mais il portait en lui cette solidité vosgienne, faite de retenue, de devoir et de fidélité. C’est un homme ordinaire, sans particularité physique : sur son carnet, il est simplement précisé « culte catholique ».

A l’issue de ses quatorze années d’engagement, il épouse Clémence Joséphine PAULY, à Haroué, le 26 octobre 1864 ; il a 31 ans, elle en à 21.

Le couple aura 5 enfants dont un seul garçon, élève en pharmacie, qui décédera trop jeune à l’âge de 22 ans, en 1892

Mais avant cela, de terribles évènements vont malmener nos frontières. C’est un bouleversement inattendu qui va redessiner le paysage industriel de l’Est de la France : la guerre de 1870 et la perte de l’Alsace-Moselle. Dès 1871, la ville de Nancy, déjà dynamique, se retrouve propulsée au rang de plus grande ville de l’Est français, désormais ville-frontière face à l’Allemagne nouvellement constituée.

Florent, comme bon nombre de ces concitoyens, part en campagne. Son emprisonnement en Allemagne du 24 septembre au 11 avril 1871 lui vaudra d’être décoré de la médaille militaire avec un traitement annuel de 100 francs.

La médaille militaire, ronde, d’un diamètre d’environ 28 mm, est en argent, surmontée d’un trophée d’armes.

Sur la face, se trouve le profil de Marianne, allégorie de la République française, entouré d’une couronne de laurier et d’une légende circulaire « République française ».

Sur le revers, est gravée la devise « Valeur et discipline », parfois accompagné d’un numéro ou d’une date d’attribution.

Un ruban jaune vif, bordé de liserés verts peut être orné d’une agrafe ou d’une palme en cas de citation à l’ordre de l’armée. L’ensemble évoque la force, la bravoure et l’unité des armes.

En mai 1872, Florent est naturalisé français ; toute la famille a quitté Haroué pour s’installer à Epinal.

À la suite du traité de Francfort, signé en 1872, Nancy accueille près de 8000 nouveaux habitants « optants », parmi lesquels de nombreux ruraux attirés par les emplois ouvriers générés par l’industrialisation croissante.

Mais l’exode ne concerne pas que les ouvriers : plusieurs industriels alsaciens-lorrains, refusant de devenir sujets allemands, choisissent de transférer leurs activités vers Nancy et ses environs. Ce mouvement, nourri par la rivalité économique entre les deux nations, contribue à renforcer le tissu industriel local.

Dans le même temps, Nancy retrouve son rôle militaire stratégique : une importante garnison y est installée, prête à intervenir en cas de conflit. De nouvelles casernes voient le jour, redonnant à l’ancienne capitale ducale son statut de ville de défense et de repli.

Car la gendarmerie permet des promotions internes ; Florent a gravi les échelons un à un, jusqu’à percevoir l’ultime distinction : la Légion d’Honneur. Cette récompense témoigne d’un parcours méritant, fils de boulanger, petit-fils d’instituteur primaire

« Doué d’un grand esprit d’indépendance, ne se considérant comme l’inférieur de personne, l’Alsacien a l’amour de la justice et de l’égalité ; il respecte la loi en tant qu’elle consacre le droit, et l’autorité en tant qu’elle ne couvre pas l’arbitraire. Froid et réservé, il ne parle que quand il a quelque chose à dire, et n’agit que quand il a quelque chose à faire » (La Revue des deux mondes – Jules CLAVE)

La légion d’honneur est la plus haute distinction française, créée par Napoléon Ier en 1802, pour récompenser les citoyens les plus méritants, et ceci, dans tous les domaines d’activité ; il faut préciser qu’avec la Révolution Française toutes les décorations avaient été abolies….

Le 6 février 1877, Florent est donc nommé Chevalier de la Légion d’Honneur pour « prendre rang le même jour en qualité d’adjudant sous-officier » dans la 8ème légion de gendarmerie. Décoré le 24 février, il recevra son brevet le 19 mars 1877, avec un traitement annuel de 250 francs, payable par semestre.

Il perçoit son dernier paiement le second semestre de 1879 : « retraité » de la Gendarmerie, il part s’installer à Nancy, où il travaillera désormais comme « économe au Bureau de Bienfaisance », rue de l’Équitation, aujourd’hui rue du Grand Rabbin Haguenauer;

Florent s’éteint à l’âge de 68 ans, au terme d’une vie bien remplie, après un parcours riche et engagé, le 28 mai 1898 à Nancy. Si l’horreur de la Première guerre mondiale lui a été épargné, son épouse Clémence Joséphine aura plus d’une fois entendu les bombardements allemands.

La ville de Nancy, toute proche, restera en zone française, bien que très exposée aux combats et aux mouvements de troupes. Clémence Joséphine décide alors de revenir sur Haroué, plus en retrait ; la ville sera épargnée par les combats directs, mais la population sera lourdement impactée par les pertes humaines, chacun ayant un fils, un frère ou un père mort au front.

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Pour en savoir plus :

La situation économique de l’Alsace - Wikisource

La Médaille militaire | La grande chancellerie

Médaille militaire — Wikipédia

Recherche - Base de données Léonore

De 1870 à 1945 - Musée de la Gendarmerie

Atlas historique de la gendarmerie - Carte 1790

Un ancêtre décoré de la Légion d'honneur ? - Film 42 - YouTube