V
oici
un mariage très précoce : lui est âgé de 18 ans et elle, n’a
que 13 ans.
Nous
sommes en 1801, la France est encore marquée par les usages de
l’Ancien Régime, même si elle entre dans l’ère napoléonienne.
Le mariage n’est pas seulement une affaire de sentiments : c’est
avant tout un acte
social, économique, familial,
presque toujours décidé par les parents.
À
cette époque d’ailleurs,
les parents ont
un droit
légal et moral
sur le choix du conjoint de leurs enfants.
Rappelons
notamment, qu’il est souvent énoncé que « le
mari avait droit de vie ou
de mort sur son épouse »,
alors que dire des enfants !
Mais
ce
n’est pas tout-à-fait juste : le
mari n’avait pas un droit légal explicite de vie et de mort sur sa
femme, mais les normes sociales et judiciaires lui accordaient une
autorité telle que certains actes violents pouvaient être minimisés
voire
justifiés. La femme était perçue comme naturellement
inférieure
tant
sur
le plan physique, intellectuel que
moral. La
jeune fille
passait de l’autorité du père à celle de
son
mari, sans autonomie juridique véritable ;
elle était jugée
incapable de discernement, donc moins responsable… sauf lorsqu’il
s’agissait de la punir pour des écarts de conduite.
Le
Code civil de 1804, le
très célèbre
Code Napoléon, est souvent présenté comme une avancée juridique
majeure… mais pour les femmes, il a surtout été un retour
en arrière
en matière de droits et d’autonomie : soumission
légale au mari
(lui
doit
obéissance, et ne peut agir sans son consentement),
incapacité
juridique
(
ne peut signer
un contrat, ni
gérer
ses biens, et
encore moins exercer
une profession sans son
autorisation),
autorité
paternelle renforcée
(le
père décide légalement
de
l’éducation, du mariage, et même du sort des enfants),
inégalité
devant l’adultère. Et
oui,
si l’adultère
féminin est sévèrement puni par
une incarcération,
voire un
enfermement dans un couvent, l’adultère
masculin ne
sera
sanctionné que s’il est public ou s’il a lieu au domicile
conjugal !
Nous ne sommes
qu’en 1801 mais les pratiques du Code Napoléonien sont déjà en
place et pour de nombreux siècles…..
*
Avant
le Code civil, les règles du mariage en France sont principalement
régies par des coutumes locales et par le droit canonique,
c’est-à-dire celui de l’Église catholique ; le mariage
était une « affaire »
très sérieuse et « arrangé »
pour consolider des alliances familiales, transmettre des terres, ou
assurer une stabilité économique. Ah
j’oubliais l’incontournable loi révolutionnaire du 20 septembre
1792 !
Mais
le
mariage est
avant tout un sacrement religieux et
indissoluble une fois consommé ; le
curé joue
d’ailleurs
un rôle central dans l’enregistrement et la célébration de
cette cérémonie.
Revenons
à nos deux jeunes futurs : bien que Jean n’ait
que 18
ans, il
est
considéré comme apte à fonder un foyer, surtout s’il a un métier
ou hérite
d’une exploitation agricole. Jeanne a 13 ans, et bien que très
jeune selon nos standards actuels, peut être mariée si elle est
jugée pubère et « apte »
à tenir un ménage. Mais cela ne signifie pas forcément qu’elle
vivra immédiatement avec son époux : parfois, la cohabitation était
différée. Mais
gardons-nous
bien de juger ce mariage et n’oublions jamais le contexte
socio-historique de nos familles ;
cette union reflète une époque aux valeurs et aux contraintes bien
éloignées des nôtres.
Car
ces mariages précoces étaient moins rares qu’on ne l’imagine,
surtout si les familles cherchaient à stabiliser une situation
économique ou sociale. Les rythmes de vie étaient accélérés : on
devenait adulte plus tôt, on travaillait très
jeune, et on se mariait trop
jeune.
Le
mariage est donc enregistré par l’officier d’état civil, avec
mention
explicite
du consentement des parents entre :
Jean
BAROIN, 18 ans, né à Chissey en Morvan le 10/07/1782, au hameau de
Valouze, fils mineure
de
Jean, propriétaire, et de Claudine
RICHARD,
alors décédée,
et
Jeanne CHARLOT, née à Cussy - une commune voisine – le
19/10/1787, demeurant au hameau de Ruisselle, sur
la commune de Chissey en Morvan, fille
mineure de Jean, propriétaire, et de Reine
PATRUX.
« Les
dits futurs procédant de l’autorité et du consentement de leur
père et mère »
sont unis par les liens du mariage et ceci, même si aucun des
témoins
présents
à la cérémonie ne sait signer.
Ce
mariage, bien que surprenant aujourd’hui, s’inscrit dans une
logique sociale de l’époque où l’individu
était souvent subordonné à la volonté familiale.
L’amour n’était pas toujours au cœur de l’union — il
pouvait venir plus tard, ou rester absent. Ce qui comptait, c’était
l’équilibre
entre familles, la transmission des biens, et la stabilité du foyer.
Donc, ce
8 janvier 1801, dans le petit village de Chissey-en-Morvan, alors
encore imprégné des traditions rurales de l’Ancien Régime, deux
jeunes gens se sont unis devant Dieu et la République : Jean
BAROIN, âgé de 18
ans, et Jeanne CHARLOT,
tout juste 13 ans.
Ce n’était pas
un mariage d’amour tel qu’on l’imagine aujourd’hui, mais
plutôt une alliance entre familles, une promesse d’avenir dans un
monde où la terre, le travail et la stabilité comptent plus que les
sentiments. Jean, jeune homme robuste, déjà engagé dans les
travaux agricoles auprès de son père, est en âge de prendre femme
et de bâtir son propre foyer. Il n’a presque pas connu sa mère,
décédée à ses trois ans ; c’est sa belle-mère Lazarette
GUENOT qui occupe depuis longtemps le lit auprès de son père.
Avec Claudine
RICHARD, Jean BAROIN, le père, a eu 7 enfants :
Antoinette,
née en 1773
Claudine, née
en 1774
Lazarette, née
en 1775
Sébastienne,
née en 1777, décédée à l’âge de 4 ans
Jean, né en
1780, décédé à 8 mois
Jean, qui
épousera Jeanne (mes SOSA 88 et 89)
Pierre, né en
1785, décédé à 5 mois ;
Claudine RICHARD
décède le 21
octobre 1785, soit 5 jours
après la naissance de son dernier-né Pierre.
Jean BAROIN, le père, se
retrouve veuf avec 3 filles âgées respectivement de 12, 11 et 10
ans, et son seul et unique fils, Jean, 5 ans. Le
7 février 1786, il prend donc pour épouse Lazarette GUENOT ;
Jean a déjà 41 ans ; le
nouveau couple aura 3 enfants : Reine, décédée à un an, Jean
décédé à 4 ans et Françoise
ne vivra qu’une petite année,
quelques mois seulement après le décès de sa mère….
Jeanne, 13 ans,
adolescente selon nos critères modernes, est considérée comme
prête à devenir maîtresse de maison, à apprendre les gestes du
quotidien, à se préparer à la maternité.
Peut-être que Jean
et Jeanne ne se connaissaient que peu avant ce jour. Peut-être
qu’ils avaient échangé des regards furtifs lors d’une foire ou
d’une messe. Ou peut-être que leurs parents avaient tout décidé,
dans l’espoir de renforcer les liens entre deux lignées locales.
Ce qui est certain, c’est que leur union reflète une époque où
l’individu s’effaçait souvent derrière les besoins du clan, où
l’avenir se construisait jeune, et où l’amour — s’il venait
— arrivait après le devoir. Une bien triste époque….
Ce mariage,
aujourd’hui étonnant, nous rappelle combien les temps ont changé.
Mais il témoigne aussi de la force des racines, de la résilience
des familles, et du courage silencieux de ceux qui ont bâti notre
histoire.
Mariage
arrangé ou stratégique,
il pourrait
avoir été contracté
pour des raisons patrimoniales ou sociales,
sans intention immédiate de cohabitation ou de procréation ;
les époux ont
peut-être vécu
séparément pendant quelques années après le mariage, d’autant
plus que Jeanne sortait de l’enfance.
Peut-être que,
derrière cette alliance précoce, se cache une histoire plus
profonde — celle d’un père brisé, et d’un fils qu’il veut
ancrer dans la vie.
Le père de Jean,
veuf à plusieurs reprises, a vu s’éteindre femmes et enfants,
emportés par les fièvres, les accouchements ou les hivers trop
rudes. Dans ce monde rural où la famille est le pilier de la survie,
chaque perte est une fracture. Alors, quand Jean atteint l’âge de
raison, son père décide : il faut reconstruire, il faut
transmettre, il faut que la lignée tienne.
Jeanne, jeune mais
robuste, issue d’une famille voisine, devient l’élue. Le mariage
est célébré, sobre et silencieux, comme une promesse faite au
passé. Pourtant, les premières années sont sans enfant. Jeanne
grandit, mûrit, et ce n’est qu’en 1807, à dix-neuf ans, qu’elle
donne naissance à leur premier enfant. Un délai qui parle :
peut-être d’un corps trop jeune, peut-être d’une attente
tacite, peut-être d’un respect discret entre deux êtres liés
trop tôt.
Ce couple, né dans
la douleur d’un père endeuillé, traversera les décennies. Et
dans les registres, entre les lignes des actes, on devine une
résilience : celle d’une famille qui, malgré les pertes, choisit
de croire en l’avenir.
Et
n’allez pas me dire que c’est une histoire de « ruralité »….
Car à Paris, c’est la même chose !
Pour
preuve, Athalie Marie BELLANGER, troisième épouse de mon SOSA 8, a
eu son premier enfant à 14 ans….
*
Pour en savoir plus :
Loi qui détermine le mode de constater l'état civil des citoyens. Du 20septembre 1792, l'an quatrième de la liberté (livre
numérique)