En
explorant mes branches familiales, j’ai retrouvé un ancêtre
décoré de la Légion
d’Honneur,
originaire d’Oberhaslach,
un tout petit village du Bas-Rhin. Ce lieu m’a tout de suite
interpellée : dans un village aussi modeste, les liens familiaux
sont souvent étroits… et je ne me suis pas trompée.
Ce
Florent
HEINRICH,
brigadier de gendarmerie, est en réalité le
neveu de Catherine HEINRICH,
épouse d’Antoine
DEIBER,
lui-même frère
aîné de Nicolas,
mon SOSA
32.
Florent est le fils de Joseph
HEINRICH,
boulanger, et de Marie
Anne KRIEG.
Ce
genre de rencontre inattendue nous rappelle que derrière chaque nom,
chaque lieu, se cache une histoire à reconstituer… et parfois, une
médaille à découvrir !
Florent
est le 3ème enfant d’une fratrie de huit :
son
frère aîné Jacques est décédé à 24 mois bien avant sa
naissance, ensuite vient Joséphine qui épousera un instituteur.
Florent est donc le premier enfant mâle tout désigné pour succéder
à son père, boulanger.
Il
est né le 19 octobre 1833 à
Oberhaslach,
un
petit village du Bas-Rhin, dans le massif vosgien ;
Oberhaslach est nichée dans les contreforts
des Vosges,
au cœur de la vallée de la Bruche, zone de transition entre Alsace
et Vosges ; le
contraste est saisissant
: on passe d’un monde rural et montagnard à une ville cosmopolite,
administrative et commerçante. Le relief y
est
vallonné, boisé, souvent
escarpé ; cette
Alsace
montagnarde prend
de la hauteur : loin des vastes étendues de la plaine, elle se
drape de forêts et de crêtes.

Oberhaslach
est à environ 40 km de la
capitale régionale, Strasbourg,
côté
est :
il faut alors descendre dans la vallée, en passant par Mutzig et
traverser le piémont vosgien. On
quitte progressivement les montagnes, forêts
et ruisseaux
pour retrouver
les terres plates et fertiles
de la plaine d’Alsace ; l’ambiance
y est bien différente avec ses champs ouverts, ses vignobles
admirablement bien alignés, ses villages aux maisons à colombages
dont les fleurs écarlates tranchent avec le noir des bois peints.
Côté
ouest, à 100 km, se situe la ville
d’Épinal, capitale
vosgienne, que
l’on atteint en passant par Lutzelhouse et La Broque. Épinal est
une ville
de garnison,
avec une forte présence militaire et policière.
*
Alors
qu’il travaillait auprès de son père, ,
Florent prête serment et s’engage dans la gendarmerie en
1859 ;
pourquoi choisit-il
de quitter le métier familial pour s’engager dans la gendarmerie ?
Être
gendarme au XIXe siècle, c’est accéder à un statut reconnu, stable et respecté. ; la gendarmerie offre
un salaire régulier, une
position d’autorité dans la société rurale. Pour
un fils de boulanger, c’était une ascension
sociale possible sans passer par les études longues
ou les héritages.
Oberhaslach
est un petit village avec peu d’opportunités, peu de perspectives.
S’engager, c’est oser quitter
le cercle familial et
élargir
ses horizons professionnels et personnels
En
1859, la France est engagée dans la campagne
d’Italie
(guerre contre l’Autriche). Même si Florent n’est pas soldat de
ligne, le climat est à la mobilisation
volontaire, et
au
sentiment
national renforcé
Le
21 octobre 1851, il entre au 4ème Régiment de Cuirassiers comme engagé volontaire pour une durée
de sept ans : il
a alors 18 ans ;
le 2 décembre 1852, il est nommé « brigadier » ;
le 16 juin 1854, le voici « Cavalier au
Régiment de Cuirassiers de la Garde Impériale »,
puis « Brigadier »
le 7 septembre de la même année. Le 17 août 1856, il est
« Maréchal
des Logis ».
1858, il s’engage de nouveau pour sept années supplémentaires.
Florent
HEINRICH avait l’allure droite et fière d’un cavalier. Du haut
de son mètre soixante-seize, il imposait une présence calme mais
assurée. Son visage, aux contours ovales, était encadré par une
chevelure châtaine, épaisse et disciplinée, que prolongeaient des
sourcils de même teinte, légèrement arqués.
Ses yeux, d’un
gris bleuté, reflétaient à la fois la rigueur du métier et une
forme de douceur intérieure. Le nez, large et franc, dominait un
visage équilibré, où la bouche moyenne et le menton affirmé
dessinaient une expression de détermination tranquille.
Florent n’était
pas un homme flamboyant, mais il portait en lui cette solidité
vosgienne, faite de retenue, de devoir et de fidélité. C’est un
homme ordinaire, sans particularité physique : sur son carnet,
il est simplement précisé « culte catholique ».
A
l’issue de ses quatorze années d’engagement, il épouse Clémence
Joséphine PAULY, à
Haroué, le 26 octobre 1864 ; il a 31 ans, elle en à 21.
Le
couple aura 5 enfants dont un seul garçon, élève en pharmacie, qui
décédera trop jeune à l’âge de 22 ans, en
1892…
Mais
avant cela, de terribles évènements vont malmener nos frontières.
C’est
un bouleversement inattendu qui va redessiner le paysage industriel
de l’Est de la France : la guerre de 1870 et la perte de
l’Alsace-Moselle. Dès 1871, la ville de Nancy, déjà dynamique,
se retrouve propulsée au rang de plus grande ville de l’Est
français, désormais ville-frontière face à l’Allemagne
nouvellement constituée.
Florent,
comme bon nombre de ces concitoyens, part en campagne. Son
emprisonnement en Allemagne du 24 septembre au 11 avril 1871 lui
vaudra d’être décoré de la médaille militaire avec un traitement annuel de 100 francs. La
médaille militaire, ronde, d’un
diamètre d’environ 28
mm, est
en argent, surmontée d’un trophée d’armes.
Sur
la face, se trouve le profil de Marianne,
allégorie de la République française, entouré d’une couronne
de laurier
et d’une légende
circulaire
« République française ».
Sur
le revers, est gravée la devise « Valeur et discipline »,
parfois accompagné d’un numéro ou d’une date d’attribution.
Un
ruban jaune
vif, bordé de liserés verts peut être orné d’une agrafe ou
d’une palme en cas de citation à l’ordre de l’armée.
L’ensemble évoque la force, la bravoure et l’unité des armes.
En
mai 1872, Florent
est naturalisé français ; toute la famille a quitté Haroué
pour s’installer à Epinal.
À
la suite du traité
de Francfort,
signé en 1872, Nancy accueille près de 8000
nouveaux habitants
« optants »,
parmi lesquels de nombreux ruraux attirés par les emplois
ouvriers
générés par l’industrialisation croissante.
Mais
l’exode ne concerne pas que les ouvriers : plusieurs industriels
alsaciens-lorrains,
refusant de devenir sujets allemands, choisissent de transférer
leurs activités
vers Nancy et ses environs. Ce mouvement, nourri par la rivalité
économique entre les deux nations, contribue à renforcer le tissu
industriel local.
Dans
le même temps, Nancy retrouve
son rôle militaire stratégique
: une importante garnison y est installée, prête à intervenir en
cas de conflit. De nouvelles
casernes
voient le jour, redonnant à l’ancienne capitale ducale son statut
de ville
de défense et de repli.
Car
la gendarmerie permet des promotions internes ; Florent a gravi
les échelons un à un, jusqu’à percevoir l’ultime distinction :
la Légion d’Honneur. Cette récompense témoigne d’un parcours
méritant, fils de boulanger, petit-fils
d’instituteur primaire
« Doué
d’un grand esprit d’indépendance, ne se considérant comme
l’inférieur de personne, l’Alsacien a l’amour de la justice et
de l’égalité ; il respecte la loi en tant qu’elle consacre
le droit, et l’autorité en tant qu’elle ne couvre pas
l’arbitraire. Froid et réservé, il ne parle que quand il a
quelque chose à dire, et n’agit que quand il a quelque chose à
faire »
(La
Revue des deux mondes – Jules CLAVE)
La
légion d’honneur est la plus haute distinction française, créée
par Napoléon Ier en 1802, pour récompenser les citoyens les plus
méritants, et ceci, dans tous les domaines d’activité ; il
faut préciser qu’avec la Révolution Française toutes les
décorations avaient été abolies….
Le
6 février 1877, Florent est donc nommé Chevalier de la Légion
d’Honneur pour « prendre
rang le même jour en qualité d’adjudant sous-officier »
dans la 8ème légion de gendarmerie. Décoré
le 24 février, il recevra son brevet le 19 mars 1877, avec un
traitement annuel de 250 francs, payable par semestre.
Il
perçoit son dernier paiement le second semestre de 1879 :
« retraité »
de la Gendarmerie, il part s’installer à Nancy, où il travaillera
désormais comme « économe
au Bureau de Bienfaisance »,
rue de l’Équitation, aujourd’hui rue
du
Grand
Rabbin Haguenauer;
Florent
s’éteint
à l’âge de 68 ans, au terme d’une vie bien remplie, après
un parcours riche et engagé,
le
28 mai 1898 à Nancy.
Si
l’horreur de la Première guerre mondiale lui a été épargné,
son épouse Clémence Joséphine aura plus d’une fois entendu les
bombardements allemands.
La
ville de Nancy, toute proche, restera
en zone
française,
bien que très exposée aux combats
et aux mouvements de troupes. Clémence
Joséphine décide alors de revenir sur Haroué, plus
en retrait ; la ville sera
épargnée par les combats directs, mais
la population
sera lourdement impactée par
les pertes humaines, chacun
ayant un fils, un frère ou un père mort au front.
*
Pour
en savoir plus :
La situation économique de l’Alsace - Wikisource
La Médaille militaire | La grande chancellerie
Médaille militaire — Wikipédia
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De
1870 à 1945 - Musée de la Gendarmerie
Atlas historique de la gendarmerie - Carte 1790
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