lundi 10 novembre 2025

La Grande Guerre racontée par les archives

Aujourd’hui 11 novembre, on commémore l'Armistice de 1918 : c’est un jour férié en France dédié à la mémoire des soldats morts pour la France.

Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, un armistice est signé entre les Alliés et l’Allemagne dans un wagon à Rethondes, en forêt de Compiègne. Il met fin aux combats de la Grande Guerre, qui a fait plus de 18 millions de morts et de blessés.

Si l’heure du cessez-le-feu fut fixée à 11 heures le 11e jour du 11e mois, dans un souci de coordination et de symbolisme, la réalité fut plus tragique : des affrontements ont persisté au-delà de cette limite, causant des morts inutiles dans les dernières minutes d’un conflit déjà condamné.

Le bleuet de France, fleur des champs qui poussait sur les champs de bataille, est devenu le symbole du souvenir et de la solidarité envers les anciens combattants, les victimes de guerre et leurs familles.

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Voici donc une série de 4 podcasts diffusée par France Culture, qui plonge l’auditeur dans la Première Guerre mondiale à travers des enregistrements d’époque.

Conçue exclusivement à partir d’archives de l’INA, de la radio belge ou des Laut Archiv de l’Université Humboldt de Berlin, cette série retrace la Première Guerre mondiale à travers les voix des protagonistes. Enregistrements d’époque…

  • 1. La mobilisation en plein été : la déclaration de guerre, les départs

  • 2. Les tranchées ou « la fosse aux murènes » : la vie au front, des témoignages de poilus

  • 3. À l’arrière la vie continue : les femmes, les artistes, le quotidien

  • 4. La fin d’un monde : l’Armistice, la mémoire, la reconstruction

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Août 1914 – Le bruit du tocsin

Le soleil d’août s’étire sur les pavés encore tièdes. Les volets claquent, les enfants courent, insouciants, dans les ruelles. Et puis soudain, le silence. Un silence étrange, suspendu. Puis le tocsin. Grave, insistant, il résonne dans les clochers, dans les ventres, dans les cœurs. C’est la guerre.

Dans les villages, les hommes s’arrêtent, se regardent. Les affiches de mobilisation sont collées à la hâte sur les murs de la mairie. Les noms s’égrènent. Jules, né en 1889, classe 1909. Henri, né en 1884, classe 1904. Ils prennent leur baluchon, embrassent leurs mères, leurs femmes, leurs enfants. Le train les attend.

Sur les quais, les larmes se mêlent aux chants patriotiques. Les voix tremblent, les mains s’accrochent. Les uniformes sont encore neufs, les bottes brillent. Mais déjà, dans les regards, une ombre. Celle de l’inconnu, celle du front.

Dans les archives sonores, on entend les témoignages. Une voix rauque raconte :

Nous étions bien au courant que les choses ne tournaient pas bien rond, mais c’est le tocsin qui nous l’a appris !

Le bruit des trains, les cris, les ordres. Et ce silence, encore, entre deux départs. La mobilisation n’est pas seulement un mouvement militaire. C’est une bascule intime, une fracture dans le quotidien. L’été 1914 ne sera plus jamais un été comme les autres.

La fosse aux murènes – vivre sous terre

Il fait nuit, même en plein jour. Le ciel est là, quelque part, au-dessus de la boue, des sacs de sable, des barbelés. Mais on ne le regarde plus. On vit en dessous. Dans les tranchées.

Les hommes rampent, glissent, s’accrochent aux parois humides. Le sol colle aux bottes, aux doigts, aux âmes. On l’appelle « la fosse aux murènes » — comme si les soldats étaient devenus des bêtes, des ombres, des corps sans contours. On ne marche plus, on s’enfonce.

Les voix d’archives résonnent, rauques, tremblantes :

« Je ne sais pas comment j’ai pas attrapé la jaunisse, parce que j’ai eu une sacrée trouille ! »

Le froid mord, le gaz rôde, les rats dansent. Et pourtant, on rit parfois. Un rire nerveux, un rire de survie. On écrit des lettres, on rêve d’un feu, d’un lit, d’un silence sans obus.

Dans cette fosse, les hommes deviennent frères. Ils partagent le pain, la peur, les regards. Ils se parlent peu, mais ils se comprennent. Le silence est un langage. Le bruit aussi.

À l’arrière, la vie continue

Pendant que les hommes s’enfoncent dans les tranchées, que les obus creusent la terre et les silences, la vie à l’arrière ne s’arrête pas. Elle se transforme. Elle s’adapte. Elle résiste.

Les femmes prennent le relais. Elles deviennent ouvrières dans les usines d’armement, infirmières dans les hôpitaux de fortune, mères seules dans des foyers amputés. Leurs gestes changent, leurs voix s’élèvent, leur place dans la société se redessine. Elles cousent, soignent, administrent. Elles tiennent debout ce qui vacille.

Les artistes, eux, observent. Certains restent à l’arrière, d’autres reviennent du front, marqués dans leur chair et leur regard. Leurs œuvres deviennent des cris, des murmures, des reflets de l’absurde. La guerre traverse les toiles, les poèmes, les musiques. Elle s’infiltre dans les couleurs, les silences, les ruptures.

Et puis il y a les permissions. Ces retours fugaces du soldat chez lui. Trois jours, parfois moins. Le choc est immense. Le monde civil semble lointain, presque irréel. Le soldat ne parle pas. Il regarde. Il écoute les enfants jouer, les femmes parler, les rues vivre. Mais il sait qu’il repartira. Et que ce qu’il vit là n’est qu’un interlude.

Les archives sonores, les voix d’époque, les témoignages recueillis des années plus tard, tout cela tisse un récit sensible, pudique, bouleversant. À l’arrière, la vie continue, mais elle n’est plus la même.

La fin d’un monde

Le 11 novembre 1918, les cloches sonnent. Les canons se taisent. Les rues s’emplissent de cris, de larmes, de drapeaux. La guerre est finie. Mais ce n’est pas seulement la fin des combats. C’est la fin d’un monde.

Les empires s’effondrent. L’Allemagne abdique. L’Autriche-Hongrie se disloque. La Russie est déjà passée dans un autre siècle. Les cartes se redessinent, les frontières se déplacent, les certitudes s’effacent.

À l’arrière, les familles comptent les absents. Les corps reviennent, parfois brisés, parfois silencieux. Les survivants ne sont plus tout à fait les mêmes. Ils ont vu l’indicible. Ils ont traversé l’ombre. Ils ont supporté l’innommable.

Les artistes cherchent des mots, des formes, des couleurs pour dire ce qui ne peut se dire. Les voix enregistrées dans les années 1950 ou 1960 racontent ce moment de bascule : la joie mêlée au deuil, l’espoir teinté de vertige. On entend des accents belges, français, allemands. Des souvenirs d’enfants devenus vieux. Des silences entre les phrases.

Et puis il faut reconstruire. Les villages, les familles, les idées. Le monde d’avant ne reviendra pas. Celui d’après reste à inventer.

Ces quatre épisodes m’ont plongée dans les entrailles de l’Histoire. À travers les voix d’archives, les souffles tremblants, les silences lourds, La Grande Guerre racontée par les archives m’a fait traverser les lignes : celles du front, celles de l’arrière, celles du temps.

On y entend l’appel du départ, les rires ou les pleurs étouffés des femmes restées à l’arrière, la boue des tranchées qui collent aux semelles ou aux bandes molletières, les rats affamés qui osent attaquer, enfin le fracas d’un monde qui s’effondre. Mais surtout, on y perçoit l’humain derrière le soldat, la mémoire derrière le bruit, la vie derrière les chiffres.

Ces voix ne sont pas des fantômes : ce sont des témoins. Elles nous rappellent que la guerre ne se résume pas à des dates, mais à des émotions, des regards, des gestes. Elles nous invitent à écouter autrement, à transmettre avec justesse, à faire résonner les silences.

En les réunissant, ces quatre épisodes forment une fresque sonore où chaque fragment devient une pièce du puzzle de la mémoire. Une mémoire vivante, sensorielle, partagée. Une mémoire à faire entendre, encore et encore….

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