dimanche 3 août 2025

Adrienne BALLOUX (1771 – 1833) : rien qu'une petite paysanne

Veuf deux fois, Claude BOIRE – mon SOSA 82 – épouse mon SOSA 83 Adrienne BALLOUX le 17 janvier 1790. Claude a 31 ans et Adrienne 19 ans : une différence d’âge si courante….

Au XVIIIe siècle, la vie est courte et fragile. Dans les villages du Morvan, comme ailleurs, un enfant sur trois ne survit pas à sa première année, et la moitié n’atteint pas l’âge de dix ans. Les maladies infectieuses, les épidémies et les famines récurrentes laissent peu de répit aux familles. La mort frappe tôt, souvent sans prévenir, et n’épargne ni les jeunes époux, ni les mères en couches.

Quand une femme meurt, elle laisse souvent derrière elle le chaos, un mari débordé, des enfants parfois encore au berceau, et un foyer à faire tourner. Le remariage devient alors une évidence, presque une urgence. Il ne s’agit pas seulement d’amour ou de compagnie, mais de survie : il faut quelqu’un pour élever les enfants, nourrir la maisonnée, tenir la maison, continuer à faire vivre la ferme....

Se marier jeune est courant pour les femmes, parfois dès la fin de l’adolescence. Elles enchaînent les grossesses, dans des conditions souvent éprouvantes, sans règle d’hygiène, et prennent de plein fouet les dangers liés aux accouchements. Ce rythme, associé à la dureté de la vie quotidienne, explique en partie leur mortalité élevée, et donc la succession de remariages chez les hommes.

Avec nos yeux d’aujourd’hui, il est facile de juger cette réalité, de voir dans ces femmes des figures interchangeables, réduites à leur fonction de mères et d’épouses. Mais ce serait ignorer le contexte d’une époque où la société était profondément patriarcale, et où la survie de la famille passait par une répartition stricte des rôles. Les hommes agissaient dans la sphère publique ; les femmes, elles, étaient les piliers discrets de la sphère domestique. C’est là, dans cette ombre familière, qu’elles élevaient les enfants, préparaient les repas, tissaient, filaient, récoltaient, soignaient… Leur rôle, bien que subordonné, était essentiel et irremplaçable.

Et puis n’oublions pas qu’au moment du mariage, la femme apporte une dot, qui vient enrichir le patrimoine du mari. Même modeste, cette dot n’est pas seulement symbolique : elle joue un rôle réel dans les négociations entre familles, et reconnaît à la mariée une certaine valeur économique. Car le mariage, bien plus qu’une affaire de sentiments, est une alliance entre lignées, où la femme occupe une place centrale : elle transmet des terres, des biens, mais aussi des liens, des ponts entre familles, renforçant des réseaux, assurant la continuité.

Dans un monde où la vie est courte, où la mort est omniprésente, la priorité est de maintenir le foyer debout, coûte que coûte. Refaire sa vie après un veuvage n’est donc pas une option, mais une nécessité. Assurer une descendance, préserver l’équilibre économique d’une exploitation, élever les enfants déjà nés… autant de raisons qui font du remariage une réponse pragmatique aux aléas brutaux de la démographie. Pour les hommes comme pour les femmes, il s’agissait avant tout de survivre — et de transmettre.

C'est donc dans ce contexte que Claude prend une 3ème femme : Adrienne.

Adrienne est née le 5 février 1771 à Alligny en Morvan : elle est la fille de Claude, laboureur à La Chaux et de Anne BALIVET ; elle est baptisée le lendemain. Son parrain est Léonard BALIVET, un oncle maternel et frère aîné de sa mère ; sa marraine est Adrienne ROUSSEAU, épouse de René BALLOUX, frère aîné de son père.

Adrienne BALLOUX est l’aînée d’une fratrie de dix enfants, un modèle tout à fait conforme à l’époque :

  • Jeanne (1772- ?)

  • Jean (1776-1837)

  • Léonard (1776-1847)

  • Claude (1780-1842)

  • Edmé (1781-1850)

  • Claudine (1783-1789)

  • Emiland (1786-1863)

  • Philippe (1788-1808)

  • Françoise (1789-1849) : à la naissance de cette dernière sœur, Adrienne a déjà 18 ans….

Adrienne a déjà pris en charge la quasi-totalité de la fratrie ; il est temps pour elle de constituer son propre foyer.

De prime abord, je pense qu’elle a fui sa famille en épousant un homme de 30 ans, mais le couple est resté vivre sur Alligny-en-Morvan ; peut-être que pour Adrienne le mariage représentait une émancipation ou un moyen d’échapper à une enfance trop préoccupée ; elle a grandit au cœur des turbulences sociales, dans un foyer sûrement animé par les cris, les rires, les responsabilités qui incombent à une jeune fille aînée, les lessives à la rivière….

Claude incarne une porte de sortie, un possible refuge, voire une promesse d’autonomie dans une société où les femmes disposent de peu de marges de manœuvre. Ce mariage n’est pas nécessairement un acte romantique, mais peut-être un acte stratégique, ou tout simplement la volonté paternelle... Adrienne se marie jeune, certes, mais dans ce geste, on devine une soif de recommencement, une volonté de tracer sa propre route en dehors de l’ombre familiale. Je peux imaginer que Claude avait une « situation » établie, attractive pour une jeune femme recherchant l’autonomie mais aussi la stabilité et la sécurité.

Au moment de son mariage, Claude est veuf depuis le 15 janvier 1788, date du décès de sa deuxième épouse Jeanne COURTOIS. Le seul et unique enfant du couple, la petite Jeanne, est décédée à onze mois, soit moins de trois mois avant sa maman. Claude habite donc seul dans sa grande longère en pierre de granit, avec le toit couvert de chaume.

Lorsque Adrienne arrive dans la demeure de son mari, elle s’aperçoit bien qu’aucune femme n’y a mis les pieds depuis pas mal de temps…. Tout y est en désordre mais digne d’une habitation morvandelle, traditionnelle.

Dans la grande pièce de vie, la cheminée monumentale n’a pas dû cuisiner ou fumer de viandes depuis plusieurs mois. Les cendres y sont nombreuses et la pierre aurait bien besoin d’un grand nettoyage. Une grande marmite y attend son heure de gloire pour une famille riche et nombreuse…..

Le coucher est un « chatit » avec une paillasse dont la toile devra être changé. La couverture de « poulangis » grossier recouvrait correctement le lit et les rideaux de grosse serge avaient été tirés ; et tout ce fouillis…. Au pied du lit, se trouve un grand coffre, ouvert, où le linge a été jeté en vrac ; au milieu de la pièce, trône une table et un banc de chaque côté pour s’asseoir.

Dans un coin, près de la cheminée : le rouet, et un petit coffre devant contenir le matériel à couture, sans doute celui de la précédente épouse. Mais Adrienne utilisera celui qu’elle a amené avec elle.

Dehors, la soue et le poulailler, vides tous les deux. L’appentis accolé à la maison, qui abritait un petit four à pain, n’a pas servi depuis bien longtemps lui non plus…... Par contre, dans la grange attenante, les outils de travail avaient été admirablement rangés : une cognée, une serpe, une scie, un « goyard », quelques faucilles, un dard avec l’enclume et son marteau pour le battre, une bêche, une fourche et une pelle en bois. Adrienne reconnait bien là l’atelier soigné de son mari. Pauvre mais soigneux.

Car Claude est apprécié dans son travail ; il a commencé à travailler comme « manouvrier », un homme de peine, louant sa force de travail pour survivre, un travailleur rural situé tout en bas de l’échelle sociale — juste au-dessus des vagabonds et des errants. Mais Claude est dur à la besogne et son ardeur est reconnue par son patron ; il ne possède ni bêtes de trait ni cheval, mais il acquière au fur et à mesure du matériel qui l’aide dans ses tâches.

Consciencieux, Claude rêve de devenir un jour « laboureur » , d’être suffisamment à l’aise pour pouvoir s’acheter un ou deux chevaux de trait, un attelage et pourquoi pas une charrue… Pour le moment, il est ravie qu’Adrienne prenne possession des lieux ; elle va pouvoir s’occuper de la maison laissée à l’abandon, et reprenne en main le petit lopin de terre situé derrière la chaumière ; elle pourra cultiver quelques légumes de subsistance : des fèves, des choux, des raves, des poireaux… Et puis, peut-être…. Auront-ils des enfants…..


Des enfants, Adrienne et Claude en auront neuf :

  • Jeanne (19/02/1791 – 26/01/1862)

  • Jean (03/02/1793 – 08/09/1868)

  • Claude (10/01/1795 – 16/02/1869)

  • Pierre (14/06/1798 – 30/01/1865)

  • Jeanne ( 29/06/1806 - 07/05/1870)

  • Pierrette ( 30/06/1804 - 10/06/1806)

  • Françoise (11/01/1807 – 16/09/1871)

  • Reine (28/06/1810 – 09/12/1882)

  • Claudine (20/02/1813 - 23/04/1882)

A l’exception de la petite Pierrette, décédée à l’âge d’un an, tous les enfants atteindront l’âge adulte et le vieux couple aura de nombreux petits-enfants….

En attendant, Adrienne contemple « son domaine » ; elle imagine déjà ses enfants dans la cour : les petits garderont les volailles, tandis que les adolescents s’occuperont des travaux auxiliaires dans les champs ; les filles – tout comme elle lorsqu’elle était enfant – fileront la laine, alors qu’elle préparera le repas de son homme, qui, le soir, rentrera exténué.

Mais nous sommes en 1790 ; les cahiers de doléances, à la demande du roi Louis XVI, reflètent les préoccupations et les espoirs des Allignycoises et Allignycois : des charges fiscales trop lourdes (plaintes contre les impôts royaux et seigneuriaux), des inégalités sociales, le souhait d’une réforme judiciaire plus accessible, des améliorations d’infrastructures dans une région qui semble oubliée de tous et bien sûr davantage de libertés locales.

Malgré toutes les agitations dans le pays, Adrienne ne comprend rien à la politique des hommes ; elle sait simplement que son « Claude » a participé aux débats houleux mais nécessaires.

Adrienne n’est qu’une petite paysanne du Morvan vivant une période de bouleversements profonds, entre traditions rurales et promesses révolutionnaires. A l’image de sa mère, ses préoccupations sont enracinées dans un quotidien exigeant : cultiver le jardin, élever les animaux, entretenir la maison, filer, coudre, nourrir la famille… tandis que Claude assurera les récoltes malgré les aléas climatiques, s’acquittera des impôts et peut-être seulement, pourra emprunter pour acheter une vache, un cochon et des volailles.

Ainsi va la vie…. Et pour le moment, à défaut de brioche, elle doit cuire le pain.

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Pour en savoir plus :

La maison en Morvan | Patrimoine du Morvan

L'évolution politique et sociale | Patrimoine du Morvan

Objets de la mémoire | Patrimoine du Morvan

Mairie d'Alligny-en-Morvan - Histoire

Le Morvan : topographie, agriculture, moeurs des habitants, étatancien, état actuel / par M. Dupin,... | Gallica