dimanche 13 juillet 2025

L'histoire à fleur de peau

France Culture explore la peau comme objet historique, artistique et social à travers des épisodes qui peuvent être écoutés indépendamment les uns des autres.

L’intérêt de ces trois épisodes réside dans leur capacité à croiser histoire, corps, et société d’une façon originale et percutante ; chaque épisode fait de la peau non seulement un organe biologique, mais un support d’expression, de mémoire et de pouvoir.

Ces épisodes proposent une histoire incarnée — où la peau devient archive, miroir et cicatrice des tensions humaines. C’est une façon singulière de penser l’histoire à partir du corps, dans ses usages intimes autant que publics.

Le premier épisode nous plonge dans l’univers du Musée des moulages de l’hôpital Saint-Louis à Paris. Il retrace l’histoire de la dermatologie au XIXᵉ siècle et interroge la mise en scène des maladies de peau comme objets d’art et d’enseignement médical.

Au XIXᵉ siècle, le médecin Jean-Louis Alibert fonde l’École française de dermatologie. Il crée des atlas illustrés de maladies de peau, mêlant rigueur scientifique et esthétique picturale. Pour lui, frapper les sens du lecteur était essentiel à l’apprentissage.

Le Musée des moulages rassemble plus de 4 900 moulages en cire teintée, représentant des cas dermatologiques rares ou spectaculaires. Ces œuvres sont réalisées par des artistes professionnels, comme Jules Baretta, souvent en quête de revenus. Les moulages servent à former les médecins et à promouvoir la dermatologie française face aux écoles européennes rivales. Mais ils deviennent aussi des objets de curiosité pour le grand public, flirtant avec le cabinet de curiosités et le musée des horreurs.

Mais le consentement des patients à être moulés est souvent absent. Certains sont exposés lors de leçons publiques qui ressemblent à des numéros de cirque, où le médecin devient le maître de cérémonie. Ces images dermatologiques ont circulé dans la société et influencé les discours critiques et les productions artistiques. Ces « souillures d’âmes » ont nourri un imaginaire puissant autour de la peau malade, notamment dans le cas de la syphilis, petite et grande vérole ou encore la gale.

Cet épisode interroge la frontière entre soin et mise en scène, entre science et voyeurisme, où les limites éthiques de l’exposition du corps malade n’existent pas . Il montre comment la peau devient un support visuel, un document médical, mais aussi un objet artistique et social.

Pour en savoir plus :

Mycoses, verrues, lupus: découvrez le musée des moulages dermatologiques

LE MUSEE DES MOULAGES A PARIS, un musée unique au monde (Ames sensibles s'abstenir)

Secrets du moulage pathologique : Jules Baretta - YouTube

Cet épisode revient sur les pillards surnommés « écorcheurs » - des soldats désœuvrés - qui ont semé la terreur après la paix d’Arras en 1435. Une plongée dans une violence historique incarnée, presque littérale, par la peau.

Après la fin du conflit entre Bourguignons et Armagnacs, la guerre contre les Anglais continue. De nombreux soldats, habitués à la guerre, refusent de se reconvertir et forment des bandes armées qui pillent les campagnes. Ces hommes sont appelés « routiers » ou « écorcheurs ».

Le mot désigne à l’origine un boucher, mais devient une métaphore pour qualifier ces pillards qui « dépouillent » les populations : aucun écorchement réel n’est attesté, mais le terme évoque une violence brutale et stigmatisante. Les écorcheurs incarnent une société plongée dans un univers guerrier où la violence est quotidienne. Ils sont à la fois symptomatiques du chaos politique et agents d’une violence institutionnalisée. Le roi Charles VII tente alors de canaliser ces troupes en les intégrant à une armée royale permanente. En 1445, il sélectionne certains capitaines écorcheurs pour former des compagnies d’ordonnance, bien rémunérées et disciplinées. Les autres reçoivent des lettres de rémission pour leurs crimes. Mais le pouvoir royal est ambivalent : Charles VII utilise les écorcheurs pour réprimer des révoltes, comme la Praguerie en 1440, tout en cherchant à s’en débarrasser. Leur fidélité est achetée par des récompenses et des postes officiels, comme dans le cas de La Hire ou Poton de Xaintrailles.

L’épisode interroge la manière dont la peau devient le symbole d’une société écorchée, marquée par la guerre, la misère et la brutalité. Les écorcheurs ne sont pas seulement des brigands : ils incarnent une époque où la frontière entre guerre et criminalité est floue.

Pour en savoir plus :

La Guerre de Cent Ans - YouTube

CRISE- Les écorcheurs (1435 - 1445) : une crise de l'autorité royale ?

Ce troisième volet explore le tatouage au XIXᵉ siècle, notamment chez les marins, prostituées et détenus. Il met en lumière le rôle du tatouage comme marque identitaire et outil d’enquête criminelle.

Le tatouage est alors l’apanage des classes populaires : marins, militaires, prostituées, ouvriers et détenus. Il est réalisé avec des outils rudimentaires comme la « triplette » (trois aiguilles liées) et des pigments tels que le charbon ou l’encre de Chine.

Les tatouages sont qualifiés de « cicatrices parlantes » par le médecin Alexandre Lacassagne. Ils expriment des sentiments, des revendications ou des identités : « À ma mère », « Fatalitas », ou encore des symboles professionnels (truelle pour les maçons, fer à cheval pour les forgerons). Lacassagne utilise le tatouage comme outil d’identification et d’analyse sociale. Il crée des relevés précis en décalquant les motifs sur tissu, une méthode novatrice pour l’époque.

Les femmes détenues se tatouent souvent des alliances ou les initiales de leurs proches, faute de pouvoir porter des bijoux. C’est une manière de revendiquer leur humanité dans un univers carcéral déshumanisant.

En France, le tatouage est mal vu par la bourgeoisie, contrairement à l’Angleterre où il séduit l’aristocratie. Mais dès les années 1870, l’esthétique du tatouage commence à être reconnue, notamment grâce à des figures comme le capitaine Costentenus, exhibé aux Folies Bergères.

Dans Les Mystères de Paris d’Eugène Sue, le personnage tatoué de la Louve est valorisé, montrant que le tatouage peut aussi incarner des figures positives dans l’imaginaire collectif.

Cet épisode est une plongée fascinante dans les usages sociaux du tatouage, bien loin de l’esthétique contemporaine. Il révèle comment la peau devient un support de mémoire, de résistance et d’expression.

Pour en savoir plus :

Origines du tatouage arte - YouTube

Alexandre Lacassagne, médecin du crime d’hier et d’aujourd’hui

LES TATOUEURS PARISIENS EN 1900 - YouTube