Au centre de ce drame se trouve Maï-Yann, une jeune orpheline bretonne, arrachée à sa sœur et placée dans un couvent en Haute-Savoie. Son adolescence est marquée par une tragédie indicible : elle est abusée par le jardinier, Bénito. Pour étouffer le scandale et préserver la réputation de l'institution, les religieuses la renvoient en Bretagne et la forcent à épouser Ténénan Yvinou, un homme hermaphrodite, surnommé par les villageois « kog ha yar » (« ni coq ni poule »). Isolée dans le hameau reculé de Ker-Askol, Maï-Yann sombre progressivement dans la folie, tandis que son fils, Martial, grandit dans un environnement empreint de rudesse, de silence et de souffrance.
De prime abord, le récit peut heurter par son réalisme cru. Hervé Jaouen ne maquille pas la dureté de la vie paysanne de l'époque, mais il le fait avec une finesse remarquable, décrivant avec précision les milieux ruraux, leurs coutumes ancestrales, l'influence omniprésente du clergé, et toujours l’absence de choix pour les femmes. Ce livre est d'une richesse inestimable pour quiconque s'intéresse à la transmission familiale et au poids du passé, révélant une Bretagne sombre, âpre, mais toujours empreinte d'une humanité bouleversante.
Pour une généalogiste, "Ceux de Ker-Askol" offre une richesse insoupçonnée. Au-delà des données généalogiques précises qu'un roman ne peut fournir, il éclaire les contextes humains, sociaux et historiques dans lesquels les lignées familiales se sont construites. Ce livre éveille la conscience à ce que les registres d'état civil ne disent pas : les drames des enfants "illégitimes", les humiliations subies, les injustices cachées derrière une simple date ou un nom. Il met en lumière les secrets de famille, les figures marginales comme Ténénan, qui incarnent les "non-dits" si fréquents en généalogie, les mariages imposés, ou encore l'enfermement dans les institutions religieuses. Le poids du silence et de la honte a souvent fait des ravages, laissant des cicatrices invisibles dans les arbres généalogiques.