mardi 7 octobre 2025

Le barman du Ritz de Philippe COLLIN

Paris durant l’Occupation allemande, entre 1940 et 1944. L’auteur Philippe Collin nous plonge dans l’atmosphère feutrée du Ritz, palace parisien devenu le théâtre d’ambivalences où se croisent officiers nazis, célébrités françaises (Coco Chanel, Sacha Guitry, Cocteau), résistants et collaborateurs.

Frank Meier, barman légendaire devenu maître des cocktails et confident des puissants (Hemingway, Fitzgerald…) joue un jeu subtil de diplomatie. Il gagne la confiance des Allemands tout en protégeant son entourage, notamment son apprenti Luciano et la mystérieuse Blanche Auzello.

« Ma vie est une évasion.

Je suis né dans le Tyrol autrichien, le 3 avril 1884, fils d’ouvriers polonais en exil. Pour mon père, la discipline était mère de toutes les vertus. L’éducation qu’il m’a donnée n’était qu’un long court de subordination.

A vos ordres, chef ! Une prison mentale. Oui, chef ! Le sentiment de mourir un peu chaque jour. J’ai vite compris qu’il y avait une forme de bêtise dans sa manière de vivre, de ne jamais rien remettre en cause. Je me suis toujours méfié des hommes pleins de certitudes.

Mon père est né à Lodz au milieu des pogroms. Il a vu les siens pourchassés, et parfois pendus par des hordes blondes. Il a fini par tout brûler avant d’émigrer dans les montagnes du Tyrol. Il m’a donné un prénom autrichien, au grand désespoir de ma mère, fille d’un petit rabbin de Budapest. Il a refusé que je sois circoncis. Pas question non plus de m’inscrire sur les registres de la synagogue : il a décrété que plus personne ne serait juif dans sa descendance. La famille s’est installée à Vienne, dans le Favoriten, un quartier où toute la Mitteleuropa se mélangeait sans signe distinctif. »

« A douze ans, je travaillais dix heures par jour dans un atelier de peignage de la laine à Vienne. J’étais fasciné par les gosses que je croisais le matin sur le chemin de l’usine. Ils étaient racés, élégants et insolents, avec leurs chemises blanches amidonnées et leurs tranches de pain aux raisins. Je voulais leur vie. M’extraire de celle des pauvres. Connaître la chaleur d’une maison bourgeoise. Un désir irrépressible. J’ai grugé mes parents. En deux ans, sans rien leur dire, j’ai escamoté une partie de mon salaire et j’ai amassé une jolie somme, je rêvais du pays de cocagne : l’Amérique. Tout le monde en causait. Tenter sa chance. Croiser la fortune. Mon vieux était furieux après moi, ma mère a beaucoup pleuré, je suis parti quand même, un matin d’automne aux aurores. J’ai d’abord sauté dans un vieux train de marchandises, j’ai voyagé trois jours dans un wagon à bestiaux de Vienne à Munich, puis de Munich à Bruxelles, et enfin, je suis arrivé à Anvers, en Flandre (…) j’ai réussi à me payer un billet de troisième classe sur l’entrepont d’un transatlantique de la Red Star Line…. »

Frank Meier est un juif autrichien, vétéran de Verdun, un homme de l’ombre, toujours à l’écoute, capable de capter les secrets sans jamais les trahir ; en gardant une posture neutre mais protectrice, il dissimule sa judéité, tout en apportant son aide dès qu’il le peut, tout en composant avec les forces en présence — officiers nazis, résistants, collabos, artistes. Charismatique et raffiné, il incarne l’élégance du Ritz, avec un sens du détail et du service irréprochable.

« Savoir entendre sans paraître écouter, c’est cela aussi être l’un des plus grands barmen du monde. »

Discret mais observateur, Frank Meier est un personnage cultivé et cosmopolite ; il parle plusieurs langues, connaît les codes des élites internationales, agit souvent en coulisses, avec une forme de courage silencieux.

Il y a toujours eu deux êtres en Frank Meier. Celui qui se réfugie dans l’autorité et la discipline. Et l’autre, toujours tenté par l’irrévérence et la liberté. Il n’est pas le seul, il le sait. Le quotidien toxique dans lequel le destin l’a plongé depuis trois ans n’a fait qu’exacerber ses vieux conflits. Un jour, il rend service aux Allemands. Le lendemain, il aide des familles juives à s’enfuir. »

Le Ritz est le lieu de tous les compromis, un refuge mondain ; les propriétaires, César et Marie-Louise Ritz étaient suisses, donc officiellement neutres. Certains employés ont joué un double jeu, sans pour autant être des héros ; Frank Meier est de cette trampe là….

Inspiré de faits réels et de documents historiques, ce roman explore les zones grises de la collaboration et de la résistance, les dilemmes moraux, les trahisons et les actes de courage dissimulés derrière des apparences mondaines. Un livre qu’il faut avoir lu...

« J’ai mis du temps à comprendre que je me suis longtemps perçu comme la preuve vivante de leur médiocrité. Se détester, se sentir sans cesse illégitime et pleurer. Les fuir pour les tenir à distance, les oublier pour s’inventer une autre vie et d’autre filiations. Mais à vrai dire, à l’épreuve de cette occupation, je sens que j’ai changé. Grâce aux Boches, j’ai renoué avec mes parents et j’entrevois les choses différemment. Au regard des attitudes mesquines, déloyales et lâches que j’ai observées derrière mon bar durant ces quatre années, je me dis que mes vieux n’étaient peut-être pas les pires, et peut-être suis-je en train d’accepter d’être leur enfant, d’être ce que je suis, Frank Meier, chef barman du Ritz, ancien combattant à Vimy et fils de prolos juifs. »

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Pour en savoir plus :

Blanche Auzello : Maîtresse du Ritz | Journal social de New York

Au bar du Ritz, pendant l’Occupation (Le point)

Blanche Auzello (Wikipedia)

Le destin tragique de Blanche Auzello-Rubinstein

"Le Barman du Ritz" de Philippe Collin

Il était une fois le Ritz ou les débuts de l’hôtellerie moderne

Photos historiques du Ritz Paris - Photos du Ritz Paris

dimanche 28 septembre 2025

Généatique : distinguer les notes personnelles des notices générales

Une note est associée à une fiche individuelle, c’est-à-dire qu’elle est propre à une personne précise dans votre arbre ; vous pouvez y mettre des détails biographiques, des anecdotes, des hypothèses, ou des éléments que vous ne pouvez pas facilement intégrer dans les champs classiques (comme les événements).

Elles servent à enrichir la compréhension d’un individu, parfois avec des réflexions ou des commentaires personnels.

On peut dire que les notes sont comme des petits carnets personnels attachés à chaque individu dans son arbre : des détails de vie, des hypothèses, des commentaires... Je pourrai par exemple écrire une note sur mon ancêtre Emile DEIBER (SOSA 16) qui a fui son Alsace natale avec sa famille en 1871 pour se réfugier à Reims.

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Une notice, par contre, n’est pas rattachée à une personne mais à un type (comme un patronyme, une profession, une ville, etc.) et un mot-clé. On peut créer une notice sur un thème particulier, une profession, par exemple, que l’on retrouvera depuis toutes les fiches des personnes ayant cette profession ou bien habitant la même commune.

Une notice peut contenir des textes explicatifs, des illustrations, des descriptions historiques ou culturelles ; elle permet d’ajouter du sens ou de la profondeur aux données généalogiques en les reliant à des éléments transversaux.

Une notice est donc comme une fiche encyclopédique liées par des mots-clés : je pourrai, par exemple, écrire une notice sur les cordonniers de mon arbre, un métier artisanal très répandu au XIXe siècle, souvent transmis de père en fils.

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On pourrait croire, par exemple, que notices et marqueurs, c’est la même chose : que neni ! Ce sont deux outils très utiles mais aux fonctions bien distinctes.

Les marqueurs sont des étiquettes visuelles que l’on peut attribuer à une personne pour la repérer facilement dans l’arbre ; ils peuvent même apparaître dans votre arbre si le modèle les prend en charge.

Les notices quant à elles sont des explicatifs ou narratifs associés à une personne, une famille, un événement, ou une source. Elles viennent compléter une biographie, un résumé de recherches, un commentaire ou bien une anecdote familiale. Elles peuvent être visibles dans les fiches et les rapports.

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L’intelligence artificielle est alors une aide complémentaire pour la rédaction de ces notices.

Ayant fait récemment des recherches sur Florent HEINRICH, un Chevalier de la Légion d’Honneur, je vais m’essayer à réaliser une notice sur cette prestigieuse récompense.

Ecran de saisie en mode « Essentiel » ou « Complet », aucune importante, je clique sur l’onglet « notice » comme sur l’image ci-dessous :

Une nouvelle fenêtre s’ouvre avec une page blanche, prête à être complétée ; je clique alors sur le gros « + » à gauche de mon écran ; je dois alors choisir le type de mot-clef :

  • Patronyme, Prénom

  • Profession, Titre, Décoration

  • Lieu : code du lieu, code postal, département, région, province….

  • Pays

 J’ai ensuite le choix

  • soit de rédiger mon propre texte : je vous conseille par ailleurs de le rédiger en premier lieu sur un document traitement de texte et de le copier (pour en garder une trace)

  • soit de « demander à l’IA » de faire le travail à votre place : mais attention ! Chaque utilisation de l’IA consomme des crédits, selon la complexité de la tâche

Une fois la notice rédigée, elle est automatiquement attribuée à toutes les personnes dont la fiche contient le mot-clé dans le champ correspondant (profession, lieu,


patronyme, etc.). Ici, les Chevaliers de la Légion d’Honneur ne courent pas les rues ! Je suis déjà fort contente d’en avoir déniché un !

GENEATIQUE m’informe que ma notice est bien attribuée à Florent HEINRICH puisque j’ai renseigné sa décoration et qu’un petit livre ou une icône de notice s’affiche à côté du champ concerné : en cliquant dessus, j’accède directement à la notice liée.

Voici donc une première notice ; il me reste désormais à faire toutes les autres !

Les marqueurs dans GENEATIQUE 2026

Ils sont une des grandes nouveautés du logiciel, conçues pour enrichir la visualisation et l’organisation des arbres généalogiques. Ils permettent d’identifier rapidement des individus selon des critères personnalisés, tout en facilitant le suivi des recherches.

Les marqueurs sont des symboles visuels (icônes, pictogrammes) que l’on peut associer à une personne dans l’arbre généalogique. A l’image de « post-it », ils permettent de :

  • Repérer des profils particuliers : centenaires, migrants, militaires, bretons, optants, etc..

  • Suivre l’état des recherches : « À vérifier », « Acte manquant »…

  • Créer des catégories personnalisées : c’est ce que je préfère !

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Il existe deux types de marqueurs :

  • Manuels, ajoutés individuellement à chaque personne, idéals pour les cas spécifiques

  • Automatiques, générés selon des règles (âge, lieu, profession…), qui s’appliquent à des groupes.

Pour créer un marqueur, suivre le chemin Préférences / Gestion des marqueurs.

On peut alors ajouter ou supprimer autant de marqueurs que l’on veut ; attention, toutefois, « trop de marqueurs, tue le marqueur ! » Alors soyons raisonnables….

A côté du libellé, vous avez un symbole sur la gauche :

  • une flèche qui tourne, pour les marqueurs automatiques

  • un petit personnage, pour les marqueurs manuels.

La dentellière de la brume de Anne-Marie CASTELAIN

Ce roman de terroir nous plonge dans la Bretagne du début du XXe siècle, au cœur d’un petit port de pêche où la vie est rude et laborieuse : Penmarc'h

Le récit se déroule dans une communauté de pêcheurs bretons, vivant au rythme des marées et des campagnes de sardines. La crise économique frappe la région : les poissons se font rares, les conserveries tournent au ralenti, et les familles cherchent de nouveaux moyens de subsistance. Issue d’une famille de pêcheurs, Angélique travaille dès son plus jeune âge à la fileterie.

Orpheline, recueillie par une voisine, elle se distingue par sa discrétion, sa ténacité et son désir d’apprendre. Repérée pour ses talents manuels, elle est confiée à la comtesse de Kéradec, directrice d’un atelier de dentelle renommé.

« Pour sauver du danger les jeunes filles mises au chômage, des associations caritatives, ainsi que la Ligue patriotique des Françaises, créèrent des ateliers-ouvroirs de dentelle au crochet. Pas besoin d’apprendre à une Bigoudène à tenir un crochet…. On connaissait déjà l’Aiguille à la campagne qui donnait du travail à domicile. On vit partout les groupes de femmes et de jeunes, à l’ombre d'une église ou sur les pas de porte, exécuter cette dentelle qui devint vite un gagne-pain, un pauvre petit revenu dont on se contentait. Les enfants qui auparavant faisaient du picot au mètre pour quelques sous, se virent enrôler comme des grandes personnes. »

Elle devient apprentie dentellière, puis se révèle plus douée que ses camarades, ce qui l’amène à gravir les échelons jusqu’à Paris.

Mais Angélique est tiraillée entre son attachement à sa terre natale et les promesses de la capitale.....

Ce roman très facile à lire valorise les métiers artisanaux, notamment la dentelle, comme voie d’élévation sociale : le parcours d’Angélique illustre parfaitement la quête d’un avenir meilleur par le travail et l’apprentissage.

Ce roman est une ode à la résilience, à la transmission des savoirs, à la beauté des gestes simples ; il met en lumière une femme discrète, laborieuse, souvent effacée dans les archives. Le parcours d’Angélique, de son port natal à Paris, illustre les migrations internes, souvent observées dans nos généalogies du XXe siècle, permettant notamment d’appréhender les ruptures de lignées ou les déplacements liés au travail.

J’ai beaucoup apprécié l’ambiance de ce livre ; la Bretagne y est décrite avec ses traditions, ses crises économiques, ses solidarités locales, ce qui peut aider à enrichir mes connaissances sur la vie des pêcheurs bretons, des ouvrières de la fileterie, des dentellières, et même des familles nobles locales.

Outre mon intérêt purement généalogique de ce livre, j’ai également aimé l’esthétique de la dentelle bretonne, qui devient ici un vecteur de transmission intergénérationnelle : apprentissage, mentorat, héritage artisanal. Il offre une belle occasion d’évoquer l’invisibilité des femmes de nos arbres dans les sources, de leur rôle dans les familles, et de leur place dans les récits.

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Pour en savoir plus :

Détails de broderies d'un plastron et de la manche d'un costume bigouden -Planche d'un carnet de dessins

Penmarch : Histoire, Patrimoine, Noblesse (commune du canton du Guilvinec)

Pays Bigouden — Wikipédia

COSTUMES ET COIFFES EN BRETAGNE - Le blog de annie

Bretons à Paris au XIXe siècle : « Ils ont connu la faim et la honte d’être Breton »

Broderie et dentelle en Bretagne — Wikipédia

Fiche d'inventaire - Patrimoine Culturel Immatériel en France

La technique de la guipure irlandaise • Plumetis Magazine

La Société Philanthropique : précurseur de l'aide alimentaire -Société Philanthropique

Penmarc'h : son histoire, ses monuments / par F. Quiniou, recteur de Penmarc'h| Gallica

vendredi 26 septembre 2025

Florent HEINRICH (1833 – 1898), un homme de devoir et de fidélité

En explorant mes branches familiales, j’ai retrouvé un ancêtre décoré de la Légion d’Honneur, originaire d’Oberhaslach, un tout petit village du Bas-Rhin. Ce lieu m’a tout de suite interpellée : dans un village aussi modeste, les liens familiaux sont souvent étroits… et je ne me suis pas trompée.

Ce Florent HEINRICH, brigadier de gendarmerie, est en réalité le neveu de Catherine HEINRICH, épouse d’Antoine DEIBER, lui-même frère aîné de Nicolas, mon SOSA 32. Florent est le fils de Joseph HEINRICH, boulanger, et de Marie Anne KRIEG.

Ce genre de rencontre inattendue nous rappelle que derrière chaque nom, chaque lieu, se cache une histoire à reconstituer… et parfois, une médaille à découvrir !

Florent est le 3ème enfant d’une fratrie de huit : son frère aîné Jacques est décédé à 24 mois bien avant sa naissance, ensuite vient Joséphine qui épousera un instituteur. Florent est donc le premier enfant mâle tout désigné pour succéder à son père, boulanger.

Il est né le 19 octobre 1833 à Oberhaslach, un petit village du Bas-Rhin, dans le massif vosgien ; Oberhaslach est nichée dans les contreforts des Vosges, au cœur de la vallée de la Bruche, zone de transition entre Alsace et Vosges ; le contraste est saisissant : on passe d’un monde rural et montagnard à une ville cosmopolite, administrative et commerçante. Le relief y est vallonné, boisé, souvent escarpé ; cette Alsace montagnarde prend de la hauteur : loin des vastes étendues de la plaine, elle se drape de forêts et de crêtes.


Oberhaslach est à environ 40 km de la capitale régionale, Strasbourg, côté est : il faut alors descendre dans la vallée, en passant par Mutzig et traverser le piémont vosgien. On quitte progressivement les montagnes, forêts et ruisseaux pour retrouver les terres plates et fertiles de la plaine d’Alsace ; l’ambiance y est bien différente avec ses champs ouverts, ses vignobles admirablement bien alignés, ses villages aux maisons à colombages dont les fleurs écarlates tranchent avec le noir des bois peints.

Côté ouest, à 100 km, se situe la ville d’Épinal, capitale vosgienne, que l’on atteint en passant par Lutzelhouse et La Broque. Épinal est une ville de garnison, avec une forte présence militaire et policière.

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Alors qu’il travaillait auprès de son père, , Florent prête serment et s’engage dans la gendarmerie en 1859 ; pourquoi choisit-il de quitter le métier familial pour s’engager dans la gendarmerie ?

Être gendarme au XIXe siècle, c’est accéder à un statut reconnu, stable et respecté. ; la gendarmerie offre un salaire régulier, une position d’autorité dans la société rurale. Pour un fils de boulanger, c’était une ascension sociale possible sans passer par les études longues ou les héritages.
Oberhaslach est un petit village avec peu d’opportunités, peu de perspectives. S’engager, c’est oser quitter le cercle familial et élargir ses horizons professionnels et personnels
En 1859, la France est engagée dans la campagne d’Italie (guerre contre l’Autriche). Même si Florent n’est pas soldat de ligne, le climat est à la mobilisation volontaire, et au sentiment national renforcé

Le 21 octobre 1851, il entre au 4ème Régiment de Cuirassiers comme engagé volontaire pour une durée de sept ans : il a alors 18 ans ; le 2 décembre 1852, il est nommé « brigadier » ; le 16 juin 1854, le voici « Cavalier au Régiment de Cuirassiers de la Garde Impériale », puis « Brigadier » le 7 septembre de la même année. Le 17 août 1856, il est « Maréchal des Logis ». 1858, il s’engage de nouveau pour sept années supplémentaires.

Florent HEINRICH avait l’allure droite et fière d’un cavalier. Du haut de son mètre soixante-seize, il imposait une présence calme mais assurée. Son visage, aux contours ovales, était encadré par une chevelure châtaine, épaisse et disciplinée, que prolongeaient des sourcils de même teinte, légèrement arqués.

Ses yeux, d’un gris bleuté, reflétaient à la fois la rigueur du métier et une forme de douceur intérieure. Le nez, large et franc, dominait un visage équilibré, où la bouche moyenne et le menton affirmé dessinaient une expression de détermination tranquille.

Florent n’était pas un homme flamboyant, mais il portait en lui cette solidité vosgienne, faite de retenue, de devoir et de fidélité. C’est un homme ordinaire, sans particularité physique : sur son carnet, il est simplement précisé « culte catholique ».

A l’issue de ses quatorze années d’engagement, il épouse Clémence Joséphine PAULY, à Haroué, le 26 octobre 1864 ; il a 31 ans, elle en à 21.

Le couple aura 5 enfants dont un seul garçon, élève en pharmacie, qui décédera trop jeune à l’âge de 22 ans, en 1892

Mais avant cela, de terribles évènements vont malmener nos frontières. C’est un bouleversement inattendu qui va redessiner le paysage industriel de l’Est de la France : la guerre de 1870 et la perte de l’Alsace-Moselle. Dès 1871, la ville de Nancy, déjà dynamique, se retrouve propulsée au rang de plus grande ville de l’Est français, désormais ville-frontière face à l’Allemagne nouvellement constituée.

Florent, comme bon nombre de ces concitoyens, part en campagne. Son emprisonnement en Allemagne du 24 septembre au 11 avril 1871 lui vaudra d’être décoré de la médaille militaire avec un traitement annuel de 100 francs.

La médaille militaire, ronde, d’un diamètre d’environ 28 mm, est en argent, surmontée d’un trophée d’armes.

Sur la face, se trouve le profil de Marianne, allégorie de la République française, entouré d’une couronne de laurier et d’une légende circulaire « République française ».

Sur le revers, est gravée la devise « Valeur et discipline », parfois accompagné d’un numéro ou d’une date d’attribution.

Un ruban jaune vif, bordé de liserés verts peut être orné d’une agrafe ou d’une palme en cas de citation à l’ordre de l’armée. L’ensemble évoque la force, la bravoure et l’unité des armes.

En mai 1872, Florent est naturalisé français ; toute la famille a quitté Haroué pour s’installer à Epinal.

À la suite du traité de Francfort, signé en 1872, Nancy accueille près de 8000 nouveaux habitants « optants », parmi lesquels de nombreux ruraux attirés par les emplois ouvriers générés par l’industrialisation croissante.

Mais l’exode ne concerne pas que les ouvriers : plusieurs industriels alsaciens-lorrains, refusant de devenir sujets allemands, choisissent de transférer leurs activités vers Nancy et ses environs. Ce mouvement, nourri par la rivalité économique entre les deux nations, contribue à renforcer le tissu industriel local.

Dans le même temps, Nancy retrouve son rôle militaire stratégique : une importante garnison y est installée, prête à intervenir en cas de conflit. De nouvelles casernes voient le jour, redonnant à l’ancienne capitale ducale son statut de ville de défense et de repli.

Car la gendarmerie permet des promotions internes ; Florent a gravi les échelons un à un, jusqu’à percevoir l’ultime distinction : la Légion d’Honneur. Cette récompense témoigne d’un parcours méritant, fils de boulanger, petit-fils d’instituteur primaire

« Doué d’un grand esprit d’indépendance, ne se considérant comme l’inférieur de personne, l’Alsacien a l’amour de la justice et de l’égalité ; il respecte la loi en tant qu’elle consacre le droit, et l’autorité en tant qu’elle ne couvre pas l’arbitraire. Froid et réservé, il ne parle que quand il a quelque chose à dire, et n’agit que quand il a quelque chose à faire » (La Revue des deux mondes – Jules CLAVE)

La légion d’honneur est la plus haute distinction française, créée par Napoléon Ier en 1802, pour récompenser les citoyens les plus méritants, et ceci, dans tous les domaines d’activité ; il faut préciser qu’avec la Révolution Française toutes les décorations avaient été abolies….

Le 6 février 1877, Florent est donc nommé Chevalier de la Légion d’Honneur pour « prendre rang le même jour en qualité d’adjudant sous-officier » dans la 8ème légion de gendarmerie. Décoré le 24 février, il recevra son brevet le 19 mars 1877, avec un traitement annuel de 250 francs, payable par semestre.

Il perçoit son dernier paiement le second semestre de 1879 : « retraité » de la Gendarmerie, il part s’installer à Nancy, où il travaillera désormais comme « économe au Bureau de Bienfaisance », rue de l’Équitation, aujourd’hui rue du Grand Rabbin Haguenauer;

Florent s’éteint à l’âge de 68 ans, au terme d’une vie bien remplie, après un parcours riche et engagé, le 28 mai 1898 à Nancy. Si l’horreur de la Première guerre mondiale lui a été épargné, son épouse Clémence Joséphine aura plus d’une fois entendu les bombardements allemands.

La ville de Nancy, toute proche, restera en zone française, bien que très exposée aux combats et aux mouvements de troupes. Clémence Joséphine décide alors de revenir sur Haroué, plus en retrait ; la ville sera épargnée par les combats directs, mais la population sera lourdement impactée par les pertes humaines, chacun ayant un fils, un frère ou un père mort au front.

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Pour en savoir plus :

La situation économique de l’Alsace - Wikisource

La Médaille militaire | La grande chancellerie

Médaille militaire — Wikipédia

Recherche - Base de données Léonore

De 1870 à 1945 - Musée de la Gendarmerie

Atlas historique de la gendarmerie - Carte 1790

Un ancêtre décoré de la Légion d'honneur ? - Film 42 - YouTube

dimanche 14 septembre 2025

Jean GENET : l'art de la fugue

Jean Genet est l’un des écrivains les plus singuliers et provocateurs du XXe siècle. Sa vie, aussi tumultueuse que son œuvre, est marquée par la transgression, la marginalité et une quête esthétique radicale.

Il n’est pas exclu que, tel Jean Genet, l’un de vos ascendants ait été marqué par un passage à la Petite Roquette ou à Mettray. 

Voici deux podcasts intéressants qui évoquent sa vie d’enfermement et d’errance :

Une enfance perdue : épisode 1/4 du podcast Jean Genet, l'art de lafugue | France Culture

Écrire sous écrou : épisode 2/4 du podcast Jean Genet, l'art de la fugue | France Culture

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Jean GENET est né le 19 décembre 1910 à Paris 6ème (AD 75 n°3218 page 5/21) ; il est le fils de Camille Gabrielle GENET, gouvernante, domiciliée au 1 rue Broca ; le père est non nommé…

Abandonné par sa mère à quelques mois, pupille de l’État, il est élevé dans une famille paysanne du Morvan ; il est aisé de retrouver sa trace dans les archives parisiennes :

Sur ce dernier document s’étale la chronique d’une jeunesse tourmentée : hospitalisations, placements multiples, fugues, vols, et séjours en prison rythment les premières années de Jean Genet.

C’est d’ailleurs en détention qu’il commence à écrire : « l’écriture est ce qui vous reste lorsque l’on est chassé du domaine de la parole donnée ».

Très tôt, Jean Genet découvre dans l’écriture un refuge, une échappatoire à un monde qui l’a rejeté avant même qu’il ait pu s’y inscrire. Orphelin, marginal, condamné, il est exclu des cercles sociaux, des institutions, des normes. Mais là où les portes se ferment, les mots s’ouvrent.

L’écriture devient pour lui un territoire clandestin, un espace de réinvention où il peut transfigurer la honte en beauté, la déviance en grandeur. Dans ses romans, ses poèmes, ses pièces, Genet ne cherche pas à se justifier : il sublime. Il érige les voleurs, les prostitués, les traîtres en figures tragiques et bien réelles ; ce geste littéraire est une revanche contre l’ordre établi, une manière de reprendre possession de sa propre histoire.

Il ne se contente pas d’écrire : il s’écrit. Il fait de sa vie un matériau brut, qu’il façonne avec une audace rare, jusqu’à scandaliser. Car Jean Genet a choqué par ses thèmes : l’homosexualité, la prostitution, la trahison, la criminalité… Il ne les évoque pas en marge, il les érige en grandeur. Ses romans comme Notre-Dame-des-Fleurs, Le Journal du voleur ou Pompes funèbres ont été censurés, jugés immoraux - déplacés pour une société bourgeoise et bien établie - mais aussi admirés pour leur audace stylistique et leur puissance poétique.

On peut légitimement se demander ce qu’a vécu ce garçon, quelles violences ont marqué son regard pour qu’il écrive avec une telle brutalité...