vendredi 21 novembre 2025

Le charron

D’après la définition du CNRTL, le charron est un « artisan ou ouvrier qui construit et répare les trains des véhicules à traction animale (charrettes, chariots, etc.), en particulier, les roues de ces véhicules » ; c’est donc « un constructeur de voitures » comme dirait Boileau dans son Dictionnaire des métiers.


De tout temps, l’homme a voulu se déplacer, le plus rapidement possible, en transportant de lourdes charges. Les besoins de la guerre motivaient les mêmes obligations.

La « roue » date de la fin du Néolithique, entre 3 500 et 3 000 av. J.-C. Son lieu d’invention est souvent attribuée à la Mésopotamie (civilisation sumérienne), mais des découvertes en Ukraine et dans les Alpes suggèrent une diffusion plus large. Les Egyptiens avaient des chars et les dieux étaient représentés sur des chariots. En France, nos « rois fainéants » utilisaient de lourds chars tirés par des bœufs, mais leurs roues étaient pleines. Quel progrès lorsque le charron sut faire des roues à moyeu, à la fois plus légères et plus résistantes !

Autrefois, chaque village avait son charron. Comme le maréchal-ferrant et le bourrelier, il était indispensable aux agriculteurs puisque c’était lui qui fabriquait et entretenait le matériel nécessaire au transport, depuis les brouettes jusqu’aux chars à bœufs en passant par les charrette à banc.

La construction des charrettes l’occupait généralement en hiver et au printemps. Les mois d’été étaient réservés à l’usage des charrettes et donc à leur réparation.

La majeure partie de son travail se faisait en plein air parce que les bois de charron, sous l’effet de la chaleur, avaient tendance à se déformer ou à se courber.

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Le charron s’occupe tout spécialement de la construction des « voitures de fatigue », telles que chariots, charrettes - véhicules fonctionnels, construits pour résister à l’usure et aux mauvaises routes, sans recherche d’esthétique par opposition aux voitures « de luxe » ou « de promenade », plus légères et élégantes - c’est lui qui fait les brouettes et presque tous les instruments employés dans l’agriculture, la charrue, la herse, le rouleau, les semoirs, etc. On peut dire qu’il est le spécialiste des roues de transport (moyeu, rais, jantes, cerclage de fer) ; par contre, la grande roue d’un moulin, par exemple, relève des compétences d’un charpentier. Et si le charron réalise les roues et les trains de voitures suspendues, la caisse et les accessoires sont du ressort du sellier carrossier.

Le charron doit savoir travailler le bois comme le menuisier, et le fer comme le forgeron ; aussi, dans l’atelier du charron, on trouve à peu près tous les outils du menuisier : la scie, le rabot, les ciseaux, le maillet, le marteau, les vrilles, le vilebrequin, la hache, et une plane ; une plane est une lame d’acier tranchante d’un côté sur toute sa longueur avec deux petites poignées en bois.

Le cric ( ou « chèvre »)est indispensable au charron pour soulever les voitures et pouvoir ajuster et démonter les roues : cet instrument se compose d'une pièce de bois dans laquelle est posée une crémaillère en fer que l'on fait monter ou descendre à l'aide d'un petit pignon et d'une manivelle ; il y a un petit loquet qui empêche la crémaillère de redescendre quand on l'abaisse.

Dans un atelier de charronnerie, on retrouve également tous les sons du fer forgé : une roue, un moyeu, une lime, l'étau, etc.

Il arrive souvent que le charron ait besoin de faire des pièces courbes ; il pourrait bien faire une roue avec une seule pièce de bois courbe, en entaillant le milieu ; mais alors elle n ’aurait pas de solidité. Il faut donc courber le bois en l'exposant à la vapeur d'eau et en le maintenant ensuite dans sa courbure, de manière à ce que le bois prenne la forme voulue.

Les chaînes, les palonniers sont aussi du ressort du charron.

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Pour construire une roue, le charron commençait par la confection du moyeu, le « noyau de la roue » ; réalisé dans un bois dur (souvent l’orme, noueux et résistant), il était dégrossi à la scie à ruban puis passé au tour à pédale ; ensuite, l’artisan creusait les logements des rais au ciseau à bois et perçait un trou en son centre, destiné à recevoir l’essieu en fer.

Sciés, repris à la plane, les rais étaient alors enfoncés dans le moyeu. Une fois découpés, les éléments de jante étaient assemblés entre eux puis aux rayons par des tenons. Leur rôle était de transmettre la force du moyeu vers la jante ; plus les charges étaient lourdes, plus les jantes étaient larges pour protéger les routes.


Venait alors le ferrage de la roue (ou cerclage), indispensable pour la maintenir assemblée et la protéger de l’usure. Le charron coupait une barre de fer qu’il passait à la cintreuse pour en faire un cercle, et la chauffait au rouge dans le feu pour la dilater. Le cercle était alors appliqué sur la roue et immédiatement aspergé d’eau pour qu’il ne brûle pas le bois ; le fer se resserrait en refroidissant, liant solidement bois et métal ; quelques clous à grosse tête pouvaient renforcer l’ensemble.

Le charron travaillait le bois et le fer, mais le forgeron pouvait aussi intervenir pour l’essieu ou les cercles métalliques.

Lorsque l’assemblage des différentes pièces de bois était achevé, on procédait au ponçage, puis à l’opération de peinture ou de teinture. Enfin, le charron effectuait l’assemblage final : il ne restait plus qu’à ajuster la roue à la charrette.


Il était très important de respecter les étapes et de bien suivre les consignes pour obtenir un produit de qualité.

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La réalisation d’une roue par le charron suivait donc un enchaînement précis : préparation du moyeu, insertion des rais, assemblage des jantes, puis ferrage à chaud. Chaque étape demandait une grande maîtrise du bois et du métal.

Il ne vous a pas échappé que, derrière son image artisanale et rurale, le métier de charron,, était en réalité un métier à haut risque, exposant l’artisan à de nombreux dangers quotidiens.

Le ferrage des roues nécessitait de chauffer le cercle de fer au rouge dans un grand feu : une étincelle ou une maladresse pouvait embraser l’atelier, et endommager gravement l’environnement professionnel, si ce n’est l’artisan lui-même ; manipuler le fer incandescent, l’arroser à l’eau, ajuster rapidement sur le bois exposait les mains et les bras à des brûlures très graves ; de même l’arrosage du fer chaud produisait des nuages de vapeur brûlante et des odeurs âcres de bois chauffé.

Le charron était également exposé aux particules de bois : scie, rabot, plane, ciseau à bois généraient une poussière fine, irritante pour les poumons et les yeux. Quant aux outils tranchants (herminette, scie, gouge), plus d’un charron s’est vu infliger des blessures particulièrement profondes.

Manipuler les essieux, les jantes ou les charrettes demandait une force physique importante, avec des risques non négligeables de chutes ou de blessures au dos.

Une délégation du CHSCT s’arracherait les cheveux au vue des conditions de sécurité qui, chaque jour, mettaient en péril la vie de ces hommes….

Le savoir-faire du charron exigeait donc une vigilance constante, une maîtrise des gestes et une résistance physique ; si le tour à pédale ou la scie à ruban ont tranché plus d’un doigt, la cintreuse ou l’enclume ont écrasé des chairs.

Mais ça, c’était avant….

Tributaire du monde paysan, le charron a connu lui aussi l’évolution. Les remorques métalliques succédèrent aux charrettes en bois. Les chevaux et les bœufs ont laissé la place aux véhicules motorisés ; il ne reste aujourd’hui que le souvenir de ce nom ; bon nombre d’artisans durent se reconvertir dans la carrosserie et le travail des métaux.

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Pour en savoir plus :

Association Le Vieil Erstein ùn rund um's Kanton - Reportage ............Métiers anciens d'Erstein - LES CHARRONS

Notions sur les arts et métiers, contenant l'explication des images représentant les sujets suivants : le maçon, le menuisier, le serrurier, le charron, le cordonnier, le tisserand, le vannier, le potier, l'imprimeur typographe, l'imprimeur lithographe, à l'usage des salles d'asile / par M. Boucard (Gallica)

Le Charron, ancien métiers et ses vieux outils

Charron(métier) — Wikipédia

Nouveau manuel complet du charron-forgeron : traitant de l'atelier et del'outillage du charron, des matériaux mis en oeuvre par lui, dutravail de la forge, de la construction du gros et du petit matériel,et de toutes les questions qui ont trait au charronnage (Nouvelleédition) / par M. G. Marin-Darbel,... | Gallica

hs-n10-charron.pdf

dimanche 16 novembre 2025

La dentellière

Près de la fenêtre, la dentellière fait danser ses fuseaux dans un silence habité. Seul le frottement du fil sur le carreau rythme ses pensées. Sous ses doigts naissent des fleurs, des arabesques, des secrets destinés aux robes de mariées et aux cornettes des religieuses.

Cet art exige un apprentissage long et patient, souvent commencé dès l’enfance pour acquérir la dextérité nécessaire, souvent acquis de mère en fille ou de grand-mère en petite-fille. La dentelle séduit toutes les couches de la société : qu’il s’agisse d’un vêtement civil, militaire ou religieux, d’un linge de maison ou d’un accessoire de fête, elle en magnifie l’élégance.

Certaines femmes en font leur métier, d’autres le pratiquent à la saison. Il est touchant d’imaginer ces paysannes, après une journée harassante aux champs ou à la ferme, s’asseoir le soir pour broder une coiffe nouvelle. Dans une époque rude, elles tissent ainsi un voile de beauté, d’espoir et de tendresse.


Chaque région, chaque village cultive ses traditions et ses motifs propres. À l’aiguille, au fuseau ou au crochet, les fils très fins s’entrecroisent avec précision. La dentelle à l’aiguille commence par un patron tracé sur papier : les fils du bâti suivent ce dessin et servent de support à l’ouvrage.

Les fuseaux, eux, s’entrecroisent sur un métier appelé « tambour », « carreau » ou « coussin », où des aiguilles colorées guident le motif au fil du travail.

Autrefois, les classes populaires rurales se distinguaient lors des fêtes par la richesse de leurs coiffes et de leurs habits ornés de dentelle. Mais le désenclavement des campagnes et l’essor des vêtements industriels ont peu à peu uniformisé les costumes, entraînant le déclin, puis la disparition de ce métier d’art.

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Henriette, Éléonore ou Léocardie, dentellières de mon arbre familial, appartenaient à ce monde discret des femmes courbées sur leur carreau, dans les maisons d’Arras et de Lens. Leurs doigts agiles faisaient danser les fuseaux, le bois claquant doucement comme une musique répétitive, tandis que le fil se transformait en dentelle fine et précieuse. Dans la lumière tamisée des intérieurs, leurs yeux s’usaient à suivre les motifs, jour après jour, dans une posture immobile et douloureuse.

La dentelle, admirée comme un produit de luxe par les élites, naissait pourtant dans la pauvreté. Les donneurs d’ouvrage apportaient les modèles et repartaient avec la production, laissant aux ouvrières un salaire dérisoire, bien inférieur à celui des maris mineurs de fond. L’apprentissage se transmettait de mère en fille, parfois dans des écoles locales, et dès les années 1850, des institutions furent créées pour tenter de sauver ce métier menacé par la mécanisation. Mais rien ne pouvait arrêter l’arrivée des dentelles mécaniques de Calais et de Nottingham, qui finirent par supplanter le travail patient des mains.

Les femmes de mon arbre incarnaient cet artisanat féminin prestigieux mais fragile : des ouvrières du fil et de la patience, figures invisibles d’un Nord Pas‑de‑Calais où la beauté des gestes se mêlait à la dureté de la vie. Leur mémoire éclaire aujourd’hui l’histoire ouvrière et familiale, rappelant que derrière chaque dentelle se cache le souffle discret de ces femmes, leur endurance silencieuse et leur art transmis comme un héritage.


Pour en savoir plus :

Histoirede la dentelle / par M. de *** [François Fertiault.] | Gallica

Dentelles françaises et étrangères : les broderies et les dentelles (coursen quarante leçons, 2e série) / par Mlle Marguerite Charles,... etM. Laurent Pagès,... | Gallica

La dentelle de Chantilly et la question dentellière : conférence faite à la séance du 4 août 1905 / par G.-Hector Quignon,... | Gallica

L'ouvrière dentellière en Belgique / par Guillaume Degreef | Gallica

La Dentellière : scénario | Gallica

Les dentellières de Montusclat – YouTube

Le sabotier

Il y a, dans les forêts du Morvan, des murmures de copeaux et des parfums de bois frais. C’est là que commence le métier de sabotier. Un artisan des pas, un sculpteur de mouvement, un faiseur de silence sur les chemins boueux.

Le sabotier choisit son bois comme on choisit une histoire : le bouleau, léger et facile à sculpter, le hêtre pour sa solidité, résistant et durable pour des sabot solides, le pin plus tendre mais bon isolant pour des sabots d’intérieur, l’aulne pour sa souplesse et sa résistance à l’humidité, idéal pour des sabots de travail. Il le taille, le creuse, le polit. Chaque sabot est une empreinte, une promesse de marche, un compagnon de route.

Dans les villages, on entendait son marteau comme un rythme familier. Les sabots s’alignaient devant les portes, prêts à affronter les saisons. Ils portaient les paysans, les lavandières, les enfants sur les chemins de l’école. Ils résonnaient sur les pavés, dans les granges, dans les souvenirs.

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Quand l’hiver descend sur les forêts, que la sève se retire dans les racines, le sabotier entre en scène. C’est le moment idéal pour choisir l’arbre à abattre : peuplier, hêtre, érable, bouleau, aulne, pin… parfois même du noyer, noble et dense, mais rare et coûteux. Il ne choisit pas seulement un bois, il choisit une marche, une mémoire, une

matière à façonner. Il pense à Claude qui veut des sabots solides, à Marie qui les pensent plus esthétiques et raffinées pour aller danser…..

Une fois l’arbre débité, il fend les bûches à la taille des sabots à réaliser. Par paire, il les accouple sur son billot, les dégrossit à la hache à bêcher, puis à l’herminette – qu’on appelle aussi asseau – dans un ballet de gestes précis. Vient ensuite la taille, sur son établi, avec le paroir : une longue lame qu’il manie précisément d’un mouvement oblique, descendant, d’arrière en avant. La semelle se dessine, le pointu apparaît sous les attaques du tranchet. C’est là que l’artisan montre toute sa maîtrise : les deux sabots doivent être jumeaux, et cette symétrie se fait à l’œil, avec une dextérité née d’une expérience ancestrale.

Puis vient la creuse, sur un autre établi appelé coche. Les sabots sont calés, séparés, maintenus par une fiche de bois. Le sabotier perce, agrandit, creuse avec la cuillère – une lame tranchante montée perpendiculairement – en y mettant ses deux mains et tout le poids de son corps. Il affine ensuite avec la rogne ou roanne, puis polit les aspérités avec le racloir.

Enfin, il orne. Avec la rainette, il grave des motifs géométriques ou floraux, comme une signature discrète sur le bois. Sa journée, longue de 10 à 12 heures, lui permet de façonner 6 à 7 sabots, s’il est bon ouvrier.

Et lorsque la nuit tombe, il est temps de rentrer pour la soupe…..

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Il fait encore nuit quand il pousse la porte de son atelier au petit matin. L’odeur du bois humide flotte dans l’air, mêlée à celle plus âcre de l’huile de lin et de la suie. Sur l’établi, des pots cabossés, des fioles brunies, des cuillères en bois tachées par le temps. Ce sont ses recettes. Ses secrets. Comme ceux que monsieur Morand a rassemblés dans un petit livret, comme on consigne des formules d’alchimiste.

Aujourd’hui il n’est pas seul. Sa femme participe à la finition, à la décoration, parfois même au creusage quand la commande est importante. Mais là, Il est question de noir, ce noir profond qu’elle doit appliquer sur le bois pour le protéger, le patiner, le faire durer. Un mélange de suie, d’huile, parfois de vinaigre ou de térébenthine. On le chauffe, on le frotte, il pénètre les fibres et donne au sabot son allure rustique, presque noble.

Et quand le sabot se fend, se blesse, se fatigue, on sort le mastic. Une pâte faite de sciure, de colle, de cendre ou de farine. On la malaxe, on la glisse dans les fissures, on la lisse avec soin. Elle sèche lentement, puis se fond dans le sabot comme une cicatrice discrète. Puis vient la couleur vieux-chêne, chaude, dorée, patinée comme un meuble ancien. On y mêle du brou de noix, un peu d’huile, parfois un soupçon de pigment. Le bois s’en imprègne, prend des reflets de miel ou de tabac, selon la lumière.

Une mémoire de mains calleuses. Une ode aux matières simples, aux savoirs transmis sans bruit. Il ne parle pas seulement de technique, mais de respect du bois, de l’outil, du temps.

Dehors, les enfants, eux, jouent, en attendant de transporter les sabots jusqu’au lieu de stockage, dans un joyeux va-et-vient de copeaux et de rires.

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Le sabotier du Morvan vivait au rythme des arbres et des saisons ; il a longtemps été un métier essentiel et actif dans les zones rurales. Certes, les sabots s’usaient vite, ce qui assurait du travail, mais les revenus restaient modestes. Les Morvandiaux et les Morvandelles étaient souvent très pauvres et ne changeaient pas si vite de sabots….

Le métier de sabotier dans le Morvan était précaire et fragile économiquement, surtout à partir du XXe siècle, à cause de la concurrence industrielle et de la dépendance aux ressources locales ; les chaussures en cuir ont progressivement remplacé les sabots, rendant le métier moins rentable et plus marginal.

Le travail était physique et saisonnier : le bois était abattu en hiver, les sabots produits en série, souvent dans des conditions rudimentaires. le sabotier était un paysan-artisan, sans reconnaissance professionnelle ni sécurité sociale. Le sabotier vivait en lisière de forêt, dans des huttes précaires, jusqu’à ce qu’une ordonnance royale au XVIIe siècle leur interdise de travailler trop près des bois !

Durant la belle saison, il exerçait d’autres métiers : son activité de fabrication de sabots ralentissait en période de moisson ou de travaux des champs, mais il restait actif dans des tâches complémentaires. Le travail ne manquait pas : fabrication de charbon de bois dans les forêts, préparation du bois pour l’hiver, fabrication d’objets en bois ( cuillers, manches d’outils, petits meubles rustiques…) ou tout simplement participation aux travaux agricoles, telles que moisson, fenaison, battage du grain….

Le sabotier adaptait son travail aux saisons et aux besoins ; cette polyvalence était essentielle pour survivre dans une économie rurale précaire.

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Pour en savoir plus :

Sabotier— Geneawiki

Les métiers anciens du bois - Musée du bois

Sabotier| Patrimoine du Morvan

(15)1981 Souvenirs de bois et d ardoise Les sabots de Presgaux FLUVORE -YouTube

(15)1968 : Rencontre avec un sabotier d'antan | Archive INA - YouTube

De sabot en sabot à Gouloux, de père en fils avec Pierre Marchand - LeJournal du Centre

Conférence de l'ordonnance de Louis XIV du mois d'août 1669, sur le fait des eaux et forêts. Tome 2 / , avec les édits, déclarations, coutumes... depuis l'an 1115 jusqu'à présent. Contenant les loix forestières de France. Nouvelle édition, augmentée des observations de M. Simon,... & M. Segauld,... | Gallica

vendredi 14 novembre 2025

Le CNRTL, une bibliothèque précieuse pour le généalogiste


Le Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (CNRTL) est utile au généalogiste pour bien comprendre le vocabulaire ancien, les variantes orthographiques et les sens historiques des mots rencontrés dans les actes.

A la première lecture, cette bibliothèque numérique peut intriguer, mais lorsque l’on prend l’habitude de l’utiliser, tout devient très clair, et surtout, vite indispensable.

Pour ma part, je n’utilise que « le portail lexical » mais je vous invite également à visiter les autres rubriques.

Les registres paroissiaux, notariés ou judiciaires recèlent souvent des termes aujourd’hui tombés en désuétude. Le CNRTL offre la possibilité d’en retrouver la définition précise. De la même manière, les appellations de métiers, les expressions juridiques ou religieuses varient selon les époques : le CNRTL conserve la trace des formes anciennes. En consultant les attestations littéraires ou historiques, on saisit mieux l’usage d’un mot dans son contexte, ce qui permet de replacer un ancêtre dans son environnement social et culturel.

Le CNRTL constitue aussi un appui précieux pour la mise en récit : il enrichit les histoires familiales en offrant des nuances de vocabulaire et des citations qui donnent vie aux textes.

Enfin, il s’impose comme un outil incontournable en paléographie : lorsqu’on apprend à déchiffrer les écritures anciennes, le CNRTL joue le rôle de dictionnaire de référence pour vérifier le sens exact des mots rencontrés.

Le CNRTL fonctionne comme une grande bibliothèque numérique de la langue française : il rassemble plusieurs dictionnaires et bases lexicographiques, et permet de chercher un mot pour en explorer toutes les facettes.

L’onglet Lexicographie du CNRTL est le cœur du portail, celui qui rassemble les grands dictionnaires et bases historiques de la langue française. Il fonctionne comme une salle de lecture numérique où chaque ressource éclaire un mot selon une époque ou un usage ; les rubriques sont à consulter à gauche de votre écran :

  • Le TLFi (Trésor de la langue française informatisé) : dictionnaire de référence couvrant la langue française du XIXᵉ au XXᵉ siècle avec des définitions détaillées, des exemples littéraires, étymologie, usages ; c’est la ressource la plus complète pour comprendre les mots rencontrés dans les actes du XIXᵉ et XXᵉ siècle

  • L ’Académie française – 9ᵉ édition : dictionnaire officiel en cours de rédaction (depuis 1992) ; il donne les définitions contemporaines, normatives, avec un souci de correction et d’usage actuel ; il est très utile pour des comparaison avec les sens anciens et voir ainsi l’évolution dans le temps

  • L’Académie française – 4ᵉ édition (1762) : ancienne édition du dictionnaire de l’Académie, il témoigne du vocabulaire et des usages du XVIIIᵉ siècle ; il est très utile pour les généalogistes travaillant sur des actes de l’Ancien Régime

  • La BDLP (Base de données lexicographiques panfrancophone) recense les mots et expressions propres aux différentes régions francophones (Québec, Belgique, Suisse, Afrique, etc.) ; elle permet notamment de comprendre des variantes régionales ou des termes spécifiques rencontrés dans des actes hors de France

  • La BHVF (Base Historique du Vocabulaire Français) donne les attestations historiques des mots, leur première apparition et leur évolution ; elle est fort utile pour dater un terme ou vérifier s’il était en usage à une époque donnée

  • Le DMF (Dictionnaire du Moyen Français) couvre la langue française entre 1330 et 1500 ; il est indispensable pour les généalogistes qui explorent des chartes, terriers ou documents médiévaux, permettant ainsi de comprendre les mots disparus ou transformés dans le français moderne.

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Prenons un exemple concret : dans mon arbre généalogique – et comme dans beaucoup d’autres ! la profession la plus représentée est celle de « journalier ».

J’ouvre ensuite successivement les onglets du portail lexical : Morphologie, Lexicographie, Ethymologie, Synonyme…..

Comme on le voit sur cet exemple, c’est bien l’onglet « Lexicographie » qui m’apporte le plus d’informations, non pas sur l’adjectif mais le substantif « journalier » :

L’onglet « Étymologie » ne se contente pas de donner la définition d’un mot : il explique d’où vient ce mot, comment il a évolué et quelles formes il a traversées.

L’onglet « Synonyme » élargit le champ lexical d’un mot en proposant des termes proches ou équivalents. C’est un outil complémentaire aux définitions, qui permet de varier le vocabulaire et comprendre les nuances de sens. IL puise le vocabulaire dans l’incontournable dictionnaire CRISCO, incontournable lorsque l’on réalise des écrits.

Il affiche les mots qui peuvent remplacer le terme recherché, selon le contexte, avec des nuances, puisque certains synonymes sont plus littéraires, familiers ou techniques.

Les synonymes sont souvent reliés aux proxémies et aux clusters (onglet suivant), car ils montrent les familles lexicales.

L’onglet « Proxémie » du CNRTL est un peu particulier : il ne s’agit pas d’un dictionnaire classique, mais d’une ressource qui explore les relations de proximité entre les mots.

En sciences humaines, la proxémie désigne l’étude des distances et des espaces dans les interactions sociales ; ici elle correspond aux rapports de voisinage entre les mots.

Cet onglet agit donc comme une loupe sur l’environnement lexical d’un mot ; il liste tout un univers de proximité, classé en « clusters », c’est‑à‑dire en familles de proximité, qui révèlent des contextes d’usage.

Dans l’exemple du « journalier » chaque cluster correspond à une dimension du sens  ; pour le mot qui m’intéresse, je note :

  • Le cluster « Travail manuel et condition ouvrière » : manœuvre, manuel, ouvrier, compagnon, travailleur, tâcheron…. : ouvrier non qualifié, exécutant des tâches simples, souvent sur les chantiers.

  • Le cluster « Ardeur et intensité du travail » : bûcheur, piocheur, bourreau de travail, bosseur

  • Le cluster « Vie commune et ordinaire » : commun, courant, ordinaire, prolo, quotidien

Ces clusters révèlent – et viennent confirmer – la dimension sociale (tâcheron), la dimension professionnelle (exécution / manœuvre), la dimension symbolique (valorisation du travail des mains / manuel) et la dimension politique puisque le mot « prolétaire » inscrit ce champ lexical dans l’histoire des luttes sociales.

L’onglet « Concordance » montre comment le mot est utilisé dans des phrases réelles issues des corpus textuels ; les exemples cités proviennent de textes littéraires, historiques, techniques ou administratifs – datés et référencés.

Un journalier est donc un travailleur payé à la journée, sans attache fixe, souvent agricole ; il est un travailleur qui exerce une activité productive, vivant souvent dans des conditions précaires.

A vous de rechercher ensuite les textes et ouvrages correspondants dans Gallica....

Ceci était un exemple fort simple, mais je suppose que dans vos généalogies du XVIIIème et bien avant encore, ce ne sont pas mots « étranges » qui manquent et que ne demandent qu’à être expliqués !

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La France n’a jamais été en retard lorsqu’il s’agit de dictionnaires et de savoir !

Au tournant des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles, la France se distingue par une ambition intellectuelle hors du commun : donner aux mots et aux savoirs une place centrale dans la vie culturelle.

Dès 1690, Antoine Furetière publie son Dictionnaire universel. Cet ouvrage, en rupture avec le dictionnaire officiel de l’Académie française, ose inclure les termes techniques, scientifiques et artisanaux. Il ne se contente pas de définir la langue des lettrés : il ouvre les pages aux métiers, aux pratiques concrètes, aux savoirs du quotidien. C’est la première grande tentative de faire entrer la vie réelle – celle des ouvriers, des artisans, des savants – dans un dictionnaire général.

Un siècle plus tard, Denis Diderot et Jean Le Rond d’Alembert dirigent l’Encyclopédie,. ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers (1751‑1772). Véritable bibliothèque des Lumières avec ses dizaines de milliers d’articles et ses planches illustrées, elle devient la somme universelle des connaissances humaines. Les arts mécaniques y sont valorisés autant que les sciences et la philosophie : les gestes des artisans, les outils des métiers, les savoir-faire populaires trouvent enfin leur place dans une œuvre intellectuelle majeure.

Ces deux œuvres montrent que la France était à l’avant‑garde : elle a su faire des dictionnaires et encyclopédies non seulement des outils de langue, mais des instruments de transmission universelle des savoirs.

Furetière et Diderot ont donné aux mots et aux métiers une dignité nouvelle, en construisant des bibliothèques universelles qui éclairent encore aujourd’hui la vie quotidienne de nos ancêtres et l’histoire des idées.

lundi 10 novembre 2025

La Grande Guerre racontée par les archives

Aujourd’hui 11 novembre, on commémore l'Armistice de 1918 : c’est un jour férié en France dédié à la mémoire des soldats morts pour la France.

Le 11 novembre 1918, à 5h15 du matin, un armistice est signé entre les Alliés et l’Allemagne dans un wagon à Rethondes, en forêt de Compiègne. Il met fin aux combats de la Grande Guerre, qui a fait plus de 18 millions de morts et de blessés.

Si l’heure du cessez-le-feu fut fixée à 11 heures le 11e jour du 11e mois, dans un souci de coordination et de symbolisme, la réalité fut plus tragique : des affrontements ont persisté au-delà de cette limite, causant des morts inutiles dans les dernières minutes d’un conflit déjà condamné.

Le bleuet de France, fleur des champs qui poussait sur les champs de bataille, est devenu le symbole du souvenir et de la solidarité envers les anciens combattants, les victimes de guerre et leurs familles.

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Voici donc une série de 4 podcasts diffusée par France Culture, qui plonge l’auditeur dans la Première Guerre mondiale à travers des enregistrements d’époque.

Conçue exclusivement à partir d’archives de l’INA, de la radio belge ou des Laut Archiv de l’Université Humboldt de Berlin, cette série retrace la Première Guerre mondiale à travers les voix des protagonistes. Enregistrements d’époque…

  • 1. La mobilisation en plein été : la déclaration de guerre, les départs

  • 2. Les tranchées ou « la fosse aux murènes » : la vie au front, des témoignages de poilus

  • 3. À l’arrière la vie continue : les femmes, les artistes, le quotidien

  • 4. La fin d’un monde : l’Armistice, la mémoire, la reconstruction

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Août 1914 – Le bruit du tocsin

Le soleil d’août s’étire sur les pavés encore tièdes. Les volets claquent, les enfants courent, insouciants, dans les ruelles. Et puis soudain, le silence. Un silence étrange, suspendu. Puis le tocsin. Grave, insistant, il résonne dans les clochers, dans les ventres, dans les cœurs. C’est la guerre.

Dans les villages, les hommes s’arrêtent, se regardent. Les affiches de mobilisation sont collées à la hâte sur les murs de la mairie. Les noms s’égrènent. Jules, né en 1889, classe 1909. Henri, né en 1884, classe 1904. Ils prennent leur baluchon, embrassent leurs mères, leurs femmes, leurs enfants. Le train les attend.

Sur les quais, les larmes se mêlent aux chants patriotiques. Les voix tremblent, les mains s’accrochent. Les uniformes sont encore neufs, les bottes brillent. Mais déjà, dans les regards, une ombre. Celle de l’inconnu, celle du front.

Dans les archives sonores, on entend les témoignages. Une voix rauque raconte :

Nous étions bien au courant que les choses ne tournaient pas bien rond, mais c’est le tocsin qui nous l’a appris !

Le bruit des trains, les cris, les ordres. Et ce silence, encore, entre deux départs. La mobilisation n’est pas seulement un mouvement militaire. C’est une bascule intime, une fracture dans le quotidien. L’été 1914 ne sera plus jamais un été comme les autres.

La fosse aux murènes – vivre sous terre

Il fait nuit, même en plein jour. Le ciel est là, quelque part, au-dessus de la boue, des sacs de sable, des barbelés. Mais on ne le regarde plus. On vit en dessous. Dans les tranchées.

Les hommes rampent, glissent, s’accrochent aux parois humides. Le sol colle aux bottes, aux doigts, aux âmes. On l’appelle « la fosse aux murènes » — comme si les soldats étaient devenus des bêtes, des ombres, des corps sans contours. On ne marche plus, on s’enfonce.

Les voix d’archives résonnent, rauques, tremblantes :

« Je ne sais pas comment j’ai pas attrapé la jaunisse, parce que j’ai eu une sacrée trouille ! »

Le froid mord, le gaz rôde, les rats dansent. Et pourtant, on rit parfois. Un rire nerveux, un rire de survie. On écrit des lettres, on rêve d’un feu, d’un lit, d’un silence sans obus.

Dans cette fosse, les hommes deviennent frères. Ils partagent le pain, la peur, les regards. Ils se parlent peu, mais ils se comprennent. Le silence est un langage. Le bruit aussi.

À l’arrière, la vie continue

Pendant que les hommes s’enfoncent dans les tranchées, que les obus creusent la terre et les silences, la vie à l’arrière ne s’arrête pas. Elle se transforme. Elle s’adapte. Elle résiste.

Les femmes prennent le relais. Elles deviennent ouvrières dans les usines d’armement, infirmières dans les hôpitaux de fortune, mères seules dans des foyers amputés. Leurs gestes changent, leurs voix s’élèvent, leur place dans la société se redessine. Elles cousent, soignent, administrent. Elles tiennent debout ce qui vacille.

Les artistes, eux, observent. Certains restent à l’arrière, d’autres reviennent du front, marqués dans leur chair et leur regard. Leurs œuvres deviennent des cris, des murmures, des reflets de l’absurde. La guerre traverse les toiles, les poèmes, les musiques. Elle s’infiltre dans les couleurs, les silences, les ruptures.

Et puis il y a les permissions. Ces retours fugaces du soldat chez lui. Trois jours, parfois moins. Le choc est immense. Le monde civil semble lointain, presque irréel. Le soldat ne parle pas. Il regarde. Il écoute les enfants jouer, les femmes parler, les rues vivre. Mais il sait qu’il repartira. Et que ce qu’il vit là n’est qu’un interlude.

Les archives sonores, les voix d’époque, les témoignages recueillis des années plus tard, tout cela tisse un récit sensible, pudique, bouleversant. À l’arrière, la vie continue, mais elle n’est plus la même.

La fin d’un monde

Le 11 novembre 1918, les cloches sonnent. Les canons se taisent. Les rues s’emplissent de cris, de larmes, de drapeaux. La guerre est finie. Mais ce n’est pas seulement la fin des combats. C’est la fin d’un monde.

Les empires s’effondrent. L’Allemagne abdique. L’Autriche-Hongrie se disloque. La Russie est déjà passée dans un autre siècle. Les cartes se redessinent, les frontières se déplacent, les certitudes s’effacent.

À l’arrière, les familles comptent les absents. Les corps reviennent, parfois brisés, parfois silencieux. Les survivants ne sont plus tout à fait les mêmes. Ils ont vu l’indicible. Ils ont traversé l’ombre. Ils ont supporté l’innommable.

Les artistes cherchent des mots, des formes, des couleurs pour dire ce qui ne peut se dire. Les voix enregistrées dans les années 1950 ou 1960 racontent ce moment de bascule : la joie mêlée au deuil, l’espoir teinté de vertige. On entend des accents belges, français, allemands. Des souvenirs d’enfants devenus vieux. Des silences entre les phrases.

Et puis il faut reconstruire. Les villages, les familles, les idées. Le monde d’avant ne reviendra pas. Celui d’après reste à inventer.

Ces quatre épisodes m’ont plongée dans les entrailles de l’Histoire. À travers les voix d’archives, les souffles tremblants, les silences lourds, La Grande Guerre racontée par les archives m’a fait traverser les lignes : celles du front, celles de l’arrière, celles du temps.

On y entend l’appel du départ, les rires ou les pleurs étouffés des femmes restées à l’arrière, la boue des tranchées qui collent aux semelles ou aux bandes molletières, les rats affamés qui osent attaquer, enfin le fracas d’un monde qui s’effondre. Mais surtout, on y perçoit l’humain derrière le soldat, la mémoire derrière le bruit, la vie derrière les chiffres.

Ces voix ne sont pas des fantômes : ce sont des témoins. Elles nous rappellent que la guerre ne se résume pas à des dates, mais à des émotions, des regards, des gestes. Elles nous invitent à écouter autrement, à transmettre avec justesse, à faire résonner les silences.

En les réunissant, ces quatre épisodes forment une fresque sonore où chaque fragment devient une pièce du puzzle de la mémoire. Une mémoire vivante, sensorielle, partagée. Une mémoire à faire entendre, encore et encore….