Son père Jean BAROIN est propriétaire au lieu-dit des Crots Barbizots et chacun doit s’acquitter de sa tâche, s’il veut manger. Les récoltes sont incertaines et malgré l’ardeur des agriculteurs, la terre morvandelle reste capricieuse ; lorsqu’elle accepte de donner ses graines, il n’est pas rare qu’elles soient trop petites ou bien rongées par les champignons de la carie et du charbon.
Certes, le Morvan est une belle région vallonnée, mais la paysannerie vit durement de ses récoltes. Tous les bras sont les bienvenus et les enfants ne doivent pas bouder le travail qui leur incombe.
Francine donc est née en plein battage des céréales ; sa mère Pauline BOIVILLE travaille durement dans la ferme, tandis que la « petiote » solidement emmaillotée se balance doucement, accrochée à une grosse poutre de la bâtisse. Il y a tant de choses à faire dans la ferme….
Si Étienne suit son père partout, Francine ne quitte pas les jupes de sa mère, qui lui apprend à traire les vaches, à nourrir les cochons, à s’occuper des animaux de la basse-cour, mais aussi à entretenir une maison, à faire le repassage et le raccommodage. Quelquefois, elle se rend au village pour aller à l’école, mais le bourg est très éloigné et sa mère a souvent besoin d’elle.
Ce que Francine préfère entre toutes les tâches, c’est accompagner sa mère au « lavoir » : le linge sale entassé dans une brouette, les voilà parties toutes les deux sur les bords du Ternin. Tandis que sa mère, assise dans un « triolo » (caisse en bois), les genoux protégés par de la paille, savonne, frappe le linge au battoir puis le rince, Francine laisse ses petits pieds effleurer l’eau claire. Avec ses yeux d’enfant, elle observe en silence les lavandières affairées. Mais plus que le claquement des battoirs, ce sont leurs bavardages qui captivent son attention.Les voix se mêlent au chant de l’eau qui coule, chuchotant des secrets, commentant les nouvelles du bourg, échangeant rires et soupirs. Francine écoute, curieuse, recueillant chaque mot comme un trésor. Ici, on parle des voisins, des naissances, des disputes et des mystères qui animent les ruelles de Chissey. Elle ne comprend pas toujours tout, mais elle sait que le lavoir est un lieu où les vérités et les rumeurs s’entrelacent, tissant l’histoire du village à chaque éclaboussure. Il arrive que des femmes se « crêpent le chignon », les chamailleries vont bon train ; c’est d’ailleurs le lieu idéal pour apprendre tous les derniers potins du bourg, et quelquefois, prendre un bon bain toute habillée.
Dans ses songes, elle n’est plus une simple fille du village, mais une jeune demoiselle vêtue de soie, invitée à un bal grandiose. Un prince au regard doux, d’un gris velouté, s’incline devant elle et l’invite à danser ; il est beau, noble et attentionné, bien différent des garçons bruyants du village. Elle habiterait un beau château, comme celui de Chissey, celui devant lequel elle passe pour aller au bourg….
Chaque soir, en fermant les yeux, Francine s’imagine quitter son village pour une vie où l’amour ressemble aux contes qu’elle aime tant. Un jour, peut-être, son prince viendra…
À dix-sept ans, Francine est frappée de plein fouet par la mort de sa mère en décembre 1901. L'hiver est rude dans le Morvan, et le désespoir l'envahit. Seule avec son père depuis le mariage de son frère Étienne en octobre avec Pierrette, son aînée de quatre ans, elle aspire à s'échapper, à vivre sa propre vie. Elle étouffe dans la chaumière….
Elle va la mener, cette vie, avec une précipitation qu'elle n'aurait sans doute pas imaginée. Jean, drôle et beau parleur, rêve lui aussi d'indépendance. Les jeunes gens tombent vite sous le charme l'un de l'autre. À peine les fiançailles scellées, la petite Jeannette est déjà en route. Comme on dit, c'est « un polichinelle dans le tiroir », et le mariage devient une urgence.
Mineure au regard de la Loi, Francine est autorisée à épouser Jean ; ce sera une belle fête car Etienne, son grand frère, est présent avec son épouse et sa première enfant Thérèse, âgée de plus d’un an. Mais Francine, bien qu’enceinte de quelques mois, n’est pas très ravie de son état ; elle n’a qu’une idée en tête : être autonome et quitter Chissey en Morvan.
Il n’est pas question pour Francine de « se mettre en nourriture » à Paris, c'est-à-dire d'aller allaiter les nourrissons de l'aristocratie ou de la bourgeoisie. Elle a vu trop de Morvandelles accueillir des bébés, à la chaîne, confiés par l'Assistance publique : dès qu’un nourrisson décédait, il fallait le remplacer pour garantir la survie de la famille…. Avec Jean, ils ont décidé de partir et de commencer une nouvelle vie, mais ailleurs. Quitter ce pays de misérables et s’essayer dans d’autres régions.