jeudi 6 février 2025

Marie Jeanne BUTT (1852 - 1915)

Je ne pensais pas qu’en m’attaquant à l’histoire de Marie Jeanne BUTT, j’aurais autant de difficultés pour ajuster sa filiation….

Marie Jeanne est un joli prénom puisqu’il est aussi celui de ma grand-mère paternelle que j’aimais beaucoup.

Marie Jeanne BUTT est née le 29 septembre 1852, à Gouloux, dans la Nièvre. L’année 1852 est également celle de l’année de l’auto-proclamation de Louis Napoléon Bonaparte en Empereur des Français.

Mais si le couronnement de Napoléon III le 2 décembre 1852 a marqué un tournant politique majeur en France avec l’instauration du Second Empire, cet événement historique n’a eu que peu, voire aucun impact sur le quotidien des goulouxoises et des goulouxois.

Situé à environ 250 km de Paris, le Morvan est une région rurale et isolée, où les bouleversements politiques de la capitale et les grandes décisions impériales atteignent rarement les préoccupations des habitants de Gouloux, étant centrées exclusivement sur la subsistance et les conditions de vie locales.

De plus, Napoléon III a concentré ses réformes et ses investissements sur les grandes villes et les régions industrielles, négligeant les zones rurales comme le Morvan. L'absence de voies de communication modernes dans la région, combinée à une faible densité de population, a également contribué à maintenir le Morvan à l'écart des dynamiques économiques et sociales impulsées par le Second Empire. Ainsi, la région du Morvan est restée en marge de ces changements, conservant ses traditions et son mode de vie rural.

Marie Jeanne surtout est la 3ème fille de Felix BUTT, sabotier et Reine TROUILLET, domestique : quatre filles, quatre garçons.

Quatre filles ! Quel déception pour un père….. dans une société fortement patriarcale, la naissance d’un fils est providentielle pour la perpétuation du nom, de l’héritage familial, aussi léger soit-il.

Le fils représente l’avenir de la lignée : il est destiné à porter le nom de famille, à reprendre la terre, le métier du père et à protéger le patrimoine. En revanche, une fille, bien que précieuse dans la vie familiale – en jouant souvent le rôle d’une seconde mère auprès des plus petits – est perçue comme une figure transitoire, appelée à se marier, prête à quitter la famille pour en intégrer une autre. Bref, un foyer sans fils est incomplet….

Felix, malgré l’amour qu’il a pu porter à ses quatre filles s’est senti trahi par le destin : ce fils imaginaire que le sort lui avait refusé…. Mais l’avenir lui apportera également quatre fils !

Felix peut s’inquiéter pour l’avenir de ses quatre filles, car sans dot conséquente ou bon mariage, elles risquent toutes une existence marquée par la précarité.

Mais lorsque l’on est une jeune fille bourguignonne fortement influencée par les normes sociales et les attentes familiales, la loi du père est celle qui prime ; Marie-Jeanne ne sait pas écrire, mais elle développe des compétences domestiques ; elle sait faire la cuisine et le ménage ; la tenue d’une maison et les soins aux enfants n’ont aucun secret pour elle. Elle a 18 ans, et déjà elle a remarqué ce garçon Claude, très assidu aux apprentissages de son père pour être sabotier.

Pour lui, elle porte ses plus beaux jupons, sa camisole à manches courtes, brodée de ses doigts habiles, ses plus jolis bas en laine et les derniers sabots que son père a taillés ; elle ôte son tablier des champs et ajuste sur ses cheveux une coiffe blanche agrémentée de rubans et de dentelle. Car une jeune fille « comme il faut » ne sort jamais « en cheveux ». Pour terminer, elle jette sur ses épaules un grand châle de laine aux motifs tissés.

Felix est rassuré : Claude a déjà 26 ans, il semble sérieux et un bon parti pour sa fille Marie Jeanne. Le couple s’unit le 13 juin 1870. La jeune fille quitte son hameau familial du Petit Monbé, très au sud du bourg de Gouloux, pour s’installer chez les BEAUJON au domaine de Metz Roblin, plus près des moulins et du saut.

Claude et Marie Jeanne a eu dix enfants, dont deux décédés très jeunes :

  • Reine (1871 - 1958)

  • Lucie (1874 - 1902)

  • Mélanie (1878 - 1938)

  • Jean, mon Agrand-père paternel (1880 - 1927)

  • Reine (1882 - 1958)

  • François Marcel (1885 - 1963)

  • Annette Cécile (1887 – 1892) décédée à l’âge de 5 ans

  • Marie Clémence (1888 – 1889) décédée à 11 mois

  • Auguste (1891 - 1953)

  • Émile Henri ( 1893 – 1973).

Jean, l’aîné masculin de la fratrie devait suivre les pas de son père ; il en sera autrement, car Jean rêve à de nouveaux horizons….

En qualité de « second », François Marcel est donc tout indiqué pour reprendre le flambeau ; il s’attelle à la dure tâche de cultivateur et s’installe durablement au Metz Roblin avec femme et enfants.

La maison de Marie Jeanne et Claude est un peu « un nid familial » : chacun vient y rechercher du réconfort et repart plus tard. Marie Jeanne la couturière est également nourrice et accueille des enfants assistés ainsi que ses petits-enfants ; par exemple, ma grand-mère Marie-Jeanne a été gardée le temps de que ses parents s’installent dans une autre région, avant de revenir la prendre.

Le temps passe… des petits-enfants naissent puis meurent trop jeunes… Les jours s’enchaînent avec les tracas du quotidien : une rixe entre paysans pour un bornage mal identifié, un différent entre deux braconniers, une bagarre pour les yeux d’une belle, ou tout simplement une querelle politique entre deux hommes un peu trop avinés. Mais ces derniers temps, tous les hommes sont d’accord : ils doivent partir, et promis, ils seront de retour pour Nöel….

Mais les choses ne se sont pas tout-à-fait passées comme prévu….

Marie Jeanne ne dort plus : ses fils sont partis au front. Chaque nuit, le silence de la maison lui pèse comme un linceul. Autrefois, les rires de ses enfants résonnaient dans les murs, mêlés aux bruits familiers de la vie quotidienne. Maintenant, le silence est un gouffre qui la mine jour après jour.

Chaque matin, elle redoute le facteur. Son cœur s’arrête à chaque enveloppe portant l’emblème officiel. Elle craint plus que tout le télégramme funeste, celui qui brise les familles en quelques lignes impersonnelles. Pour l’instant, seules de rares lettres arrivent, griffonnées à la hâte, tâchées de boue et d’encre tremblante. Elles parlent de camaraderie, de courage, de victoires espérées, d’attentes prolongées. Depuis l’été qu’ils sont partis, elle ne sait que peu de choses…. Marie Jeanne ne se doute pas de l’horreur, la faim, le froid, la peur. Mais au fond d’elle-même, son cœur de mère sent ce qu’ils ne lui écrivent pas.

Tous les jours, elle prie, sans trop savoir à qui s’adresser. Dieu semble sourd à ses supplications. Trop de mères pleurent déjà, trop de foyers sont en deuil. Elle serre son chapelet, comme si le simple fait de l’effleurer pouvait les protéger.

Cet hiver est si rude ; une vague de froid intense a frappé la région, avec des températures très basses et de nombreuses chutes de neige, des conditions météorologiques typiques de cette région montagneuse mais qui ont englouti l’énergie de Marie Jeanne, d’habitude si vive. Un mauvais rhume l’a couchée durant plusieurs jours ; la fièvre la fait délirer et son esprit vagabonde toujours là-bas, sur ces terres lointaines et déchirées où ses fils se battent.

La neige, tombée en abondance, alourdit le toit de chaume et fige le paysage dans un silence oppressant. Seul le craquement du bois dans la cheminée trouble cette immobilité. Depuis des jours, le vent hurle dans les arbres nus, giflant la vieille longère de bourrasques glaciales. Marie Jeanne entend le sifflement des obus qui tombent et explosent en cratère….

Elle s’inquiète pour ses fils : son aîné Jean parti en Afrique, son second François Marcel, le pilier de la famille, sans qui la ferme ne saurait tourner et qui s’épuise à la tâche, le troisième Auguste, atteint d’une endopéricardite, et son petit dernier Émile Henri si sensible des bronches…

Frissonnante sous ses épaisses couvertures, Marie Jeanne s’est éteinte doucement : elle avait seulement 62 ans. Nous sommes le 2 février 1915.

Marie Jeanne ne saura jamais, mais tous ces enfants reviendront de l’enfer des tranchées, mais l’histoire ne dit pas s’ils ont réussi à surmonter les « traumas » de ce bourbier sanglant.

Un coup de vent plus fort que les autres fait claquer la porte de l’écurie. Claude sursaute ; il tient la main de sa « Marie Jeanne » ; si seulement le printemps pouvait arriver plus vite…

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