mardi 7 octobre 2025

Le barman du Ritz de Philippe COLLIN

Paris durant l’Occupation allemande, entre 1940 et 1944. L’auteur Philippe Collin nous plonge dans l’atmosphère feutrée du Ritz, palace parisien devenu le théâtre d’ambivalences où se croisent officiers nazis, célébrités françaises (Coco Chanel, Sacha Guitry, Cocteau), résistants et collaborateurs.

Frank Meier, barman légendaire devenu maître des cocktails et confident des puissants (Hemingway, Fitzgerald…) joue un jeu subtil de diplomatie. Il gagne la confiance des Allemands tout en protégeant son entourage, notamment son apprenti Luciano et la mystérieuse Blanche Auzello.

« Ma vie est une évasion.

Je suis né dans le Tyrol autrichien, le 3 avril 1884, fils d’ouvriers polonais en exil. Pour mon père, la discipline était mère de toutes les vertus. L’éducation qu’il m’a donnée n’était qu’un long court de subordination.

A vos ordres, chef ! Une prison mentale. Oui, chef ! Le sentiment de mourir un peu chaque jour. J’ai vite compris qu’il y avait une forme de bêtise dans sa manière de vivre, de ne jamais rien remettre en cause. Je me suis toujours méfié des hommes pleins de certitudes.

Mon père est né à Lodz au milieu des pogroms. Il a vu les siens pourchassés, et parfois pendus par des hordes blondes. Il a fini par tout brûler avant d’émigrer dans les montagnes du Tyrol. Il m’a donné un prénom autrichien, au grand désespoir de ma mère, fille d’un petit rabbin de Budapest. Il a refusé que je sois circoncis. Pas question non plus de m’inscrire sur les registres de la synagogue : il a décrété que plus personne ne serait juif dans sa descendance. La famille s’est installée à Vienne, dans le Favoriten, un quartier où toute la Mitteleuropa se mélangeait sans signe distinctif. »

« A douze ans, je travaillais dix heures par jour dans un atelier de peignage de la laine à Vienne. J’étais fasciné par les gosses que je croisais le matin sur le chemin de l’usine. Ils étaient racés, élégants et insolents, avec leurs chemises blanches amidonnées et leurs tranches de pain aux raisins. Je voulais leur vie. M’extraire de celle des pauvres. Connaître la chaleur d’une maison bourgeoise. Un désir irrépressible. J’ai grugé mes parents. En deux ans, sans rien leur dire, j’ai escamoté une partie de mon salaire et j’ai amassé une jolie somme, je rêvais du pays de cocagne : l’Amérique. Tout le monde en causait. Tenter sa chance. Croiser la fortune. Mon vieux était furieux après moi, ma mère a beaucoup pleuré, je suis parti quand même, un matin d’automne aux aurores. J’ai d’abord sauté dans un vieux train de marchandises, j’ai voyagé trois jours dans un wagon à bestiaux de Vienne à Munich, puis de Munich à Bruxelles, et enfin, je suis arrivé à Anvers, en Flandre (…) j’ai réussi à me payer un billet de troisième classe sur l’entrepont d’un transatlantique de la Red Star Line…. »

Frank Meier est un juif autrichien, vétéran de Verdun, un homme de l’ombre, toujours à l’écoute, capable de capter les secrets sans jamais les trahir ; en gardant une posture neutre mais protectrice, il dissimule sa judéité, tout en apportant son aide dès qu’il le peut, tout en composant avec les forces en présence — officiers nazis, résistants, collabos, artistes. Charismatique et raffiné, il incarne l’élégance du Ritz, avec un sens du détail et du service irréprochable.

« Savoir entendre sans paraître écouter, c’est cela aussi être l’un des plus grands barmen du monde. »

Discret mais observateur, Frank Meier est un personnage cultivé et cosmopolite ; il parle plusieurs langues, connaît les codes des élites internationales, agit souvent en coulisses, avec une forme de courage silencieux.

Il y a toujours eu deux êtres en Frank Meier. Celui qui se réfugie dans l’autorité et la discipline. Et l’autre, toujours tenté par l’irrévérence et la liberté. Il n’est pas le seul, il le sait. Le quotidien toxique dans lequel le destin l’a plongé depuis trois ans n’a fait qu’exacerber ses vieux conflits. Un jour, il rend service aux Allemands. Le lendemain, il aide des familles juives à s’enfuir. »

Le Ritz est le lieu de tous les compromis, un refuge mondain ; les propriétaires, César et Marie-Louise Ritz étaient suisses, donc officiellement neutres. Certains employés ont joué un double jeu, sans pour autant être des héros ; Frank Meier est de cette trampe là….

Inspiré de faits réels et de documents historiques, ce roman explore les zones grises de la collaboration et de la résistance, les dilemmes moraux, les trahisons et les actes de courage dissimulés derrière des apparences mondaines. Un livre qu’il faut avoir lu...

« J’ai mis du temps à comprendre que je me suis longtemps perçu comme la preuve vivante de leur médiocrité. Se détester, se sentir sans cesse illégitime et pleurer. Les fuir pour les tenir à distance, les oublier pour s’inventer une autre vie et d’autre filiations. Mais à vrai dire, à l’épreuve de cette occupation, je sens que j’ai changé. Grâce aux Boches, j’ai renoué avec mes parents et j’entrevois les choses différemment. Au regard des attitudes mesquines, déloyales et lâches que j’ai observées derrière mon bar durant ces quatre années, je me dis que mes vieux n’étaient peut-être pas les pires, et peut-être suis-je en train d’accepter d’être leur enfant, d’être ce que je suis, Frank Meier, chef barman du Ritz, ancien combattant à Vimy et fils de prolos juifs. »

*

Pour en savoir plus :

Blanche Auzello : Maîtresse du Ritz | Journal social de New York

Au bar du Ritz, pendant l’Occupation (Le point)

Blanche Auzello (Wikipedia)

Le destin tragique de Blanche Auzello-Rubinstein

"Le Barman du Ritz" de Philippe Collin

Il était une fois le Ritz ou les débuts de l’hôtellerie moderne

Photos historiques du Ritz Paris - Photos du Ritz Paris